Représentations du genre en Licence professionnalisante : retour de perceptions des étudiant(e)s inscrits dans des formation liées au multimédia et à l’informatique

Article de recherche

Social representations of gender in professionalizing license: feedback from students enrolled in trainings related to multimedia and IT

PÉLISSIER Chrysta (Laboratoire LHUMAIN – Université Paul-Valery Montpellier 3 – MCF / HDR en Sciences du Langage – https://lhumain.www.univ-montp3.fr/fr/pelissier-chrysta)
DE CEGLIE Audrey (Laboratoire LERASS-CERIC – Université Paul-Valery Montpellier 3 – MCF en Sciences de l’Information et de la Communication)
CHOLLET Antoine (Laboratoire MRM – Université de Montpellier – MCF en Sciences de Gestion – https://extragames.fr/)


Résumé

Cette communication présente les travaux menés dans le cadre d’un projet de recherche interdisciplinaire « genre et numérique ». Il pose la question des représentations du genre dans les formations universitaires. Notre intention est de cerner comment les stéréotypes et les représentations sociales de genre s’élaborent au cours de la scolarité (notamment à partir du lycée) et produisent des identités qui peuvent se poursuivre dans les études supérieures ainsi que dans le monde professionnel.

Nous présentons plus particulièrement les résultats d’une enquête réalisée auprès de plus de 200 étudiant(e)s en Instituts Universitaires Technologiques sur la perception de la place des filles dans des métiers liés à l’informatique et au multimédia.

Les résultats montrent que la mixité parait importante pour la grande majorité de ces étudiant(e)s, futurs techniciens de l’informatique ou du multimédia. Ils soulignent qu’être une fille n’est pas une faiblesse dans ce domaine aussi bien en formation que dans le monde professionnel. En effet, même si le retour d’enquête montre que l’informatique paraît davantage stéréotypée masculin chez tous les étudiant(e)s, les filles, pour la plupart, ne rencontrent pas de difficulté d’intégration dans la formation et envisagent sereinement un projet professionnel dans leur domaine.

Mots-clés : représentation / genre / multimédia / informatique / IUT

Abstract:

This paper presents the research carried out as part of an interdisciplinary “gender and digital fields” research project. It raises the question of the representation of gender in university courses. Our aim is to identify how the stereotypes and social representations of gender are elaborated during schooling (and particularly during high school), producing identities that can persist into higher education and the world of work.

We notably present the results of a survey conducted in more than 200 students of French University Institutes of Technology (IUT) on the perception of women in computer science and multimedia professions.

The results reveal that gender diversity seems important for most of the students, all future technicians in computer science or multimedia jobs. They stressed that being a woman was not a weakness in this field, either during training or in the world of work. Even though the feedback revealed that computer science appeared to be more stereotyped as male for all the students, the women, for the most part, did not encounter any difficulty integrating their courses, and were envisaging professional careers in their fields with serenity.

Key words: representation, gender, multimedia, computer science, University Institutes of Technology (IUT)


Introduction

Derrière l’écran d’ordinateur, le sexe biologique de l’internaute n’est pas perçu. Tout le monde peut devenir quelqu’un d’autre : « derrière l’écran et l’interface de saisie, je ne suis ni garçon, ni fille si je le veux »1Cafépédagogique.net (2013), « Le numérique et le genre : Quelle école contre les inégalités ? », article du 8 mars 2013, par F. Jarraud et consulté le 14 juillet 2020 sur : http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/03/08032013Article634983227951910384.aspx. Cependant, aujourd’hui encore, les recrutements professionnels s’effectuent à partir de supports d’informations (curriculum vitae papier ou numérique) au sein desquels le rédacteur présente son sexe ainsi que ce qui « fait sens » pour lui, les « traits publics » qu’il juge pertinents dans la mise en place ou la poursuite de son activité professionnelle (Cochoy, 2000). Or, « de nombreux indicateurs socio-économiques (p. ex., l’occupation de postes décisionnaires, le salaire, la représentation politique) signalent que la plupart des positions dominantes dans les hiérarchies notamment professionnelles (des positions qui confèrent du pouvoir de décision) restent largement inaccessibles aux femmes (Bihr et Pfefferkorn, 2002). Ces faits se répercutent sur les représentations de sexe (Diekman et Eagly, 2000 ; Lorenzi-Cioldi, 2002). » (Moliner et al., 2009 : 27).

Ces représentations sont déjà présentes en situation de formation. En effet, l’image même de l’informaticien est très stéréotypée « masculine » (Morley, 2004 ; Royal, 2009) : il s’agit d’un étudiant passionné de technologie, se tenant au courant des nouvelles possibilités offertes par le web/les téléphones portables/les réseaux longues distances, consacrant ses jours et surtout ses nuits aux communautés en ligne et partageant son expertise avec d’autres acteurs sur la toile. L’image stéréotypée « féminine » apparaît plutôt dans le monde du multimédia, de la création artistique (infographiste 2D, design), dans les débats linguistiques visant à produire des contenus informationnels et dans les présentations orales de ces techniques au grand public par exemple (lancement de technologies innovantes dans des productions audiovisuelles, des sites web ou encore des affiches publicitaires).

Contexte de la recherche

Nos travaux sont réalisés dans le cadre du projet « genre et numérique »2Projet « genre et numérique », soutenu financièrement par l’appel à projet de l’ESPE- Languedoc Roussillon et la COMUE Languedoc Roussillon, « Recherches dans le domaine de l’éducation et de la formation ». au sein duquel les membres issus de différentes disciplines (sciences de l’information et de la communication, sciences du langage, sciences de l’éducation et psychologie) questionnent les stratégies et les trajectoires professionnelles genrées impactées par les outils numériques de communication : en quoi et comment le concept de genre permet-il d’envisager la question d’une égalité facilitée par le numérique et quel impact cela peut avoir sur les parcours professionnels de chacun ? Plus particulièrement, nos études ont pour objectif de contribuer :

  • à la détermination des modalités de construction de ces stéréotypes ;
  • à expliquer les choix de parcours (de formation et professionnel) ainsi que les constructions d’identité qui en découlent.

Dans cet article, nous présentons les résultats d’une étude portant sur la population des étudiant(e)s inscrit(e)s en Institut Universitaire Technologiques (IUT). Parmi les formations proposées, certaines sont à tonalité très masculine. Nous faisons l’hypothèse que des stéréotypes de genre (Duru-Bellat, 1994 ; Mosconi, 2004) et des représentations sociales (Jodelet, 2003) sont déjà présents lorsque les étudiants arrivent dans ce type de formation. Ces représentations participent à la construction d’une identité personnelle, d’une appartenance à une communauté, permettant à chacun de se construire un parcours de vie.

État de la question du genre

Des indicateurs de la naissance du genre

Si le « sexe » est lié à un support biologique, le « genre » se réfère à un sentiment subjectif. Il se construit à partir d’un ressenti personnel et/ou collectif (Ucciani, 2012) servant de point d’ancrage à des représentations éphémères pour certaines et durables pour d’autres. Ces représentations se construisent et se déconstruisent sans que personne ne puisse réellement en expliquer le phénomène dans sa globalité ou encore les éléments déclencheurs. On parle d’«assignation» du genre, c’est-à-dire du processus d’attribution à une personne ou d’un groupe de personne d’une place, d’une fonction, d’un rôle. On attend d’elle « qu’elle le performe en se conformant aux attentes sociales construites autour des identités de genre, selon qu’elle est perçue comme étant un homme ou une femme » (Damian-Gaillard et al., 2015 : 13).

Sur cette base dichotomique, « on » parle alors de comportements plutôt féminins ou plutôt masculins. Cette perception peut être questionnée dans ses origines et ses processus de déploiement structuré par des jalons que l’on peut peut-être appréhender et interroger dans leurs rôles face à la « production » et la diffusion de représentations :

De plus, « les normes de genre ont certes été intériorisées mais elles sont décodées différemment selon les socialisations familiales et les trajectoires individuelles, c’est-à-dire en fonction de l’hétérogénéité des expériences socialisatrices qui engendrent ʺune structure feuilletée des patrimoines de dispositionsʺ » (Lahire, 2013 : 130).

Le genre se définit ainsi comme une norme, un construit social qui s’élabore non pas en fonction du sexe biologique des individus mais bien des interactions sociales que les individus établissent.

Absence des femmes dans les secteurs de l’informatique et du multimédia

Aujourd’hui, « les femmes sont trois fois moins nombreuses dans les domaines du numérique que les hommes en Europe. Pour 1000 femmes titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, seules 29 l’ont obtenu dans le domaine des technologies » (Kallendorn, 2013). Plusieurs hypothèses sont avancées pour tenter d’expliquer ces disparités de genre.

Au niveau professionnel :

  • les conditions de travail défavorisaient l’implication possible des femmes selon des modalités différentes : les emplois liés à l’informatique ont la réputation d’exiger de longues heures de travail de développement technique, des horaires imprévisibles, flexibles, peu compatibles avec des contraintes familiales ;
  • les carrières professionnelles favorisaient les hommes : la progression professionnelle est majoritairement basée sur des règles du jeu qui sont définies par des hommes et pour des hommes. Les interruptions de carrière et les réductions volontaires du temps de travail ne sont pas forcément les bienvenues dans le domaine ;
  • des facteurs culturels renforceraient l’image masculine : les stéréotypes relatifs à la culture professionnelle sont un mélange de la culture de domination (l’homme détient le pouvoir, ex : chez Ubisoft avec des dérives de harcèlement) et de la culture alternative du pionnier (conquérant de nouveaux espaces). Ces valeurs et ces modèles de comportement conviennent mieux aux hommes qu’aux femmes (Valenduc, 2007) ;

En ce qui concerne la formation :

  • des travaux de recherche révèlent que si « l’école régénère inlassablement et transmet les stéréotypes dans tous les aspects de l’éduquer enseigner orienter alors l’enjeu sociétal ne sera pas respecté » (Gauthiez-Rieuceau, 2010 : 25), cela fait écho aux recherches de Duru-Bellat (1994) et de Mosconi (2004) ;
  • des déséquilibres existent dans l’éducation et la formation : peu de femmes font des choix d’études en lien avec le domaine des technologies. Une des raisons est l’image fortement stéréotypée donnée à l’informatique, notamment via les représentations issues de la science-fiction (Collet, 2011) ;
  • certains auteurs avancent que la mise en place de programmes cachés d’éducation (Mosconi, 1997) et par prophéties auto-réalisatrices (Le Maner-Idrissi, 1997) contribueraient à la conservation et le renforcement de ces stéréotypes.

Ainsi, lorsqu’on évoque l’informatique, l’idée renvoie davantage à un monde masculin. Cette interprétation relève d’une représentation qui stipule que les hommes seraient « plus aptes » à se servir d’outils techniques que les filles. Selon le rapport Codingame de 20193Codingame.com (2019), « Codingame Developer Survey Report 2019 », consulté le 4 juin 2020 sur : https://www.codingame.com/work/resources/codingame-2019-developer-survey/cover/, le nombre de femmes développeuses serait de 8,7% en 2019,et « il semble que les emplois des femmes se concentrent sur certains secteurs d’activité comme l’éducation et le domaine sanitaire et social » (Thiault et Bolka-Tabary, 2019 : 3). Comme le dit Lemarchand (2007 : 49) :

« au cours de leur formation comme dans la vie professionnelle, rares sont les filles en mécanique, en informatique ou dans le secteur du bâtiment et les garçons dans le secteur de l’aide aux personnes et surtout de la petite enfance ».

Les orientations professionnelles des jeunes seraient donc limitées par le poids des représentations sociales associés aux divers métiers (Vouillot, 2007).

Un défi : modifier ses représentations et ouvrir les formations

Certaines communautés professionnelles souhaitent inverser cette tendance sociétale. Par exemple, dans certains pays émergents d’Asie du Sud-Est (Corée du Sud, Singapour, Malaisie), il y a autant de femmes que d’hommes parmi les informaticiens4Digital-society-forum.orange.com (2014), « Les métiers liés au numérique sont-ils genrés ?», article publié le 24 juin 2014 par E. Bastien et consulté le 4 juin 2020 sur https://digital-society-forum.orange.com/fr/les-forums/277-les_metiers_lies_au_numerique_sont-ils_l_genres_r. En France, des plateformes d’accompagnement au développement de compétences informatiques comme E-Seniors5Le but de l’association est de réduire la fracture numérique entre générations., crée en 2005 par l’informaticienne Monique Epstein, se développent. Par ces pratiques, éparses et peu nombreuses, les femmes montrent tout de même leur volonté d’accéder à des savoirs, à des responsabilités et ainsi briser certains clichés liés à cette société qui pendant longtemps s’est révélée être une sphère masculine (Bourdeloie et al., 2014).

Deux circuits de formation semblent donc se mettre en place : un circuit institutionnel, formel, basé sur des protocoles traditionnels de formation, et un circuit plus informel, faisant appel à des associations, des organisations, des réseaux sociaux ne délivrant pas de diplôme mais permettant plutôt d’acquérir des compétences pour des femmes faisant preuve d’autonomie, d’initiative personnelle et d’ambition professionnelle.

Afin de mieux comprendre les modalités de construction de ces trajectoires professionnelles qui peuvent paraitre atypiques et d’expliquer les choix de parcours fait par certaines étudiantes, nous avons réalisé une étude dont l’objectif est d’appréhender la place des filles dans des formations universitaires en IUT, en informatique et en multimédia.

Hypothèses du projet et méthodologie

En nous intéressant à des cursus professionnalisants et des métiers fortement masculins (développeur notamment) nous tentons au sein du projet « genre et numérique » de comprendre les raisons qui sous-tendent les choix fait par les étudiantes inscrites dans ces parcours.

Cette enquête fait suite à une première étude (De Ceglie et Pélissier, 2019) qui avait été menée en 2018-19 auprès d’étudiants et d’étudiantes inscrit(e)s en Diplôme Universitaire de Technologie (DUT) Métiers du Multimédia et de l’Internet (MMI) de l’IUT de Béziers et l’IUT de Castres : 14 étudiants MMI inscrits en première année (avec 6 filles), 48 étudiants inscrits en seconde année (avec 16 filles), ainsi que 9 étudiants en Licence Professionnelle (avec 8 filles). Les résultats avaient montré que les étudiants (en DUT et Licence Professionnelle) pensent à 54,7% que le numérique est un mode professionnel mixte, à 79% pour le monde du multimédia, et 73,8% pour le monde de la communication. Les filles à 97% disent ne rencontrer « aucune difficulté d’intégration » et les 3 % restant « absolument aucune ». Elles soulignent des difficultés à suivre dans des matières scientifiques (mathématiques, algorithmique, programmation) mais ces mêmes difficultés sont pointées par les garçons intégrés à la même formation, dans les mêmes proportions. Par ailleurs, 82% des filles inscrites en DUT MMI ou Licence Professionnelle se projettent dans des métiers dans un service de communication, en tant que développeuses, infographiste 2D/3D, scénariste/éditrice, chargée de communication (visuelle et/ou digitale) et seulement 18% disent avoir des difficultés à se projeter dans les métiers du domaine.

En complément de cette première enquête, cette seconde étude a pour objectif de comparer les perceptions des étudiants et étudiantes inscrit(e)s dans des filières DUT MMI et Informatique. Une première hypothèse est que les modalités d’intégration des filles entre les deux filières (MMI et Informatique) ne sont pas les mêmes et que les représentations stéréotypées ne sont pas identiques. Une seconde hypothèse est que les difficultés rencontrées par les filles ne sont pas directement liées à ces représentations genrées : les étudiantes poursuivent leur parcours de formation personnel dans une perspective d’employabilité ciblée.

Pour discuter ces deux hypothèses, nous avons proposé un questionnaire en ligne qui avait pour objectif de recueillir d’une part la vision des filles mais aussi celle des garçons. Ce questionnaire était divisé en trois parties : les premières questions, recueillies sous la forme de questions fermées, sont en lien avec les caractéristiques démographiques des étudiant(e)s (formation choisie, lieu, genre, présentes), la seconde partie aborde sous la forme de questions fermées ou Questions à Choix Multiples les raisons qui soutiennent leurs choix de formation et leur projet professionnel (ex : comment avez-vous connu cette formation ? Quels métiers visez-vous ?) et la troisième partie comprend des questions intégrant une échelle de Likert et des questions libres faisant référence à leur perception de la place des filles dans leur formation/milieu professionnel visé (ex : Que pensez-vous du degré de mixité au niveau du genre concernant les secteurs professionnels suivants ?).

Ce questionnaire a été distribué auprès d’étudiants de première et de seconde année universitaire, inscrits d’une part en formation DUT MMI à l’IUT de Béziers et de Laval, et d’autre part en DUT Informatique à l’IUT de Montpellier-Sète et de Laval (Tableau 1).

 IUT LavalIUT BéziersIUT MTP-SèteTotal
MMI 1ère  année76 (36,7% de filles)85 (21,17% de filles)/161
MMI 2ème année71 (38% de filles)64 (28,12% de filles)/135
Informatique 1ère année53 (7,14% de filles)/149 (7,38% de filles)202
Informatique 2ème année46 (4,35% de filles)/107 (7,48% de filles)153
Total244149256651
Tableau 1 : Répartition des étudiants interrogés inscrits en DUT

Résultats

Le questionnaire en ligne a reçu 202 retours complets :

 

Nb étudiants ayant répondu

Total

MMI 1 année

44 (56,81% de filles)

86 (58,13% de filles)

MMI 2 année

42 (59,52% de filles)

Informatique 1 année

64 (18,75% de filles)

117 (14,52% de filles)

Informatique 2 année

52 (9,6% de filles)

Tableau 2 : Répartition des étudiants ayant retourné le questionnaire

Retour sur l’hypothèse 1

Dans cette première hypothèse, nous pensons que les modalités d’intégration des filles au sein des deux formations ne sont pas les mêmes et que les représentations stéréotypes ne sont pas identiques.

À la question « pensez-vous qu’être une fille dans votre formation constitue une faiblesse ? », les réponses sont similaires entre les étudiant(e)s inscrits en DUT Informatique et MMI. En effet, en MMI (1ère et 2ème année confondues), 78,12% (garçons et filles confondus) pensent que ce n’est pas du tout une faiblesse. Seules 26% des femmes pensent que cela peut être une faiblesse sans donner de commentaires explicatifs. En informatique, ce taux atteint 86% et seules 5,17% des filles pensent que cela peut être une faiblesse. Il semble que les filles inscrites dans ce domaine se sentent intégrées à leur formation et ne soupçonnent pas de discrimination genrée.

À la question « pensez-vous que la mixité dans le monde professionnel soit une faiblesse ? », les étudiant(e)s en MMI (1ère et 2ème année confondues) répondent « pas du tout d’accord » à 78,13 %. Seules 22 % des femmes pensent que cela peut être une faiblesse. On retrouve au niveau de ces deux taux les mêmes résultats qu’à la question précédente. Il semble donc exister pour les participants une continuité entre la perception en formation et celle qu’ils ont du monde professionnel. Notons cependant que l’ensemble des étudiant(e)s interrogés n’ont jamais travaillé en entreprise et répondent à cette question qu’à partir de leur représentation du monde du travail. En Informatique, 77,58% des répondants pensent que la mixité n’est pas une faiblesse dans le monde professionnel. Cependant, les étudiantes inscrites dans cette formation soulignent un peu moins d’inquiétudes : seules 17,64% d’entre elles pensent que cela peut être une faiblesse. Cette légère différence entre les étudiantes des deux formations peut s’expliquer par des représentations en Informatique qui peuvent prendre appui sur plusieurs années alors que les métiers du multimédia et de l’Internet appartiennent un domaine d’activité plus récent.

Retour sur l’hypothèse 2

En ce qui concerne la seconde hypothèse, nous pensons que les difficultés rencontrées par les filles inscrites en formation MMI et Informatique ne sont pas directement liées à ces représentations : les étudiantes poursuivent leur parcours dans une perspective d’employabilité ciblée.

À la question « ce choix de formation s’inscrit-il dans votre projet professionnel ? », la répartition des réponses est la suivante (Tableau 3) :

 Oui tout à faitOui plutôtNon plutôtNon pas du toutTotal
Informatique73 (62,39%)39 (33,33%)41117
MMI45 (52,32%)36 (41,86%)5086
Tableau 3 : Répartition des réponses de l’ensemble des étudiants et étudiantes

Plus particulièrement, chez les filles, les résultats sont les suivants (Tableau 4) :

 Oui tout à faitOui plutôtNon plutôtNon pas du toutTotal
Informatique10 (58,82%)6 (35,29%)1017
MMI20 (40%)28 (56%)2050
Tableau 4 : Répartition des réponses de l’ensemble des étudiantes

Par ces deux tableaux, nous observons que les étudiants, dans les deux formations, ont réalisé des choix universitaires en fonction de leur projet professionnel (« oui tout à fait » et « oui plutôt »). Par ailleurs, on ne note pas particulièrement de différence au niveau des deux formations. En effet, en Informatique 94,11% des filles inscrivent leur formation dans un projet professionnel réfléchi et en MMI, ce taux atteint les 96%.

Enfin, à la question « que pensez-vous du degré de mixité au niveau du genre concernant les deux secteurs professionnels suivants : multimédia et Informatique ? », la répartition des réponses est la suivante (Tableau 5) :

 

Majoritairement masculin

Plutôt masculin

Mixte

Plutôt féminin

Majoritairement féminin

Total

Secteur du multimédia

Informatique

11 (9,4 %)

(dont 3 filles)

36 (30,76%)

(dont 3 filles)

65 (55,55%)

(dont 11 filles)

5

0

117 (dont 17 filles)

MMI

2 (2,32 %)

(dont 2 filles)

31 (36,04%)

(15 sont des filles)

53 (61,62%)

(dont 33 filles)

0

0

86 (dont 50 filles)

Secteur de l’informatique

Informatique

85 (72,64 %)

(dont 16 filles)

30 (25,64%)

(dont 1 fille)

2

0

0

117 (dont 17 filles)

MMI

65 (75,58 %)

(dont 39 filles)

17 (19,76%)

(dont 7 filles)

4 (dont 4 filles)

0

0

86 (dont 50 filles)

Tableau 5 : Répartition des réponses de l’ensemble des étudiants et étudiantes

D’après les chiffres, le domaine informatique semble davantage stéréotypé masculin : 72,64% des étudiant(e)s en informatique et 75,58% des étudiant(e)s en MMI définissent ce secteur « majoritairement masculin », alors que ces chiffres sont beaucoup plus bas pour le secteur du multimédia : 9,4% pour les étudiant(e)s en informatique et seulement 2,32% pour les répondant(e)s issus de la formation en multimédia. Il faut souligner que dans la filière MMI, les sciences de l’information et de la communication sont particulièrement enseignées ce qui est moins le cas en informatique. De plus, le taux de représentation des filles est plus important (40% en moyenne en DUT MMI contre moins de 10% en DUT informatique).

En complément de ces chiffres, trois remarques peuvent être faites à partir des commentaires libres du questionnaire. Premièrement, les garçons sont lucides quant au besoin de reconnaissance de la place des filles, des stéréotypes attribués et des avantages de la mixité :

 « Selon moi, la place de la femme n’est pas assez valorisée même si c’est en amélioration dans de nombreux secteurs. » (Garçon en DUT MMI)

« Pour moi, les femmes ne sont pas assez présentes dans le monde de l’informatique, de la finance et dans le domaine scientifique. On devrait les encourager à aller dans ces domaines pour les voir plus facilement à des hauts postes (PDG, directeur, …) » (Garçon en DUT Informatique)

« Personnellement, je trouve ça inadmissible qu’encore aujourd’hui des métiers ou corps de métiers soient attribués à un genre / un sexe, il y a beaucoup trop de stéréotypes surtout envers les femmes qui se dirigent vers des secteurs composés de beaucoup d’hommes. » (Garçon en DUT MMI)

« C’est dommage qu’il n’y ait pas plus de mixité car les femmes peuvent apporter une opinion et des solutions différentes des hommes ce qui fait qu’on pourrait avancer plus rapidement si les mentalités changeaient » (Garçon en DUT Informatique).

Deuxièmement, nous observons que les filles elles-mêmes mentionnent que le faible nombre de places dans les métiers de l’informatique et du multimédia provient selon elles du manque d’intérêt et non d’une exclusion de la part des garçons :

« Une présence basse de femmes dans un secteur devrait provenir de leur manque d’intérêt pour celui-ci, mais surtout pas d’un évincement volontaire à cause de leur genre ». (Fille en DUT MMI)

« En tant que femme j’ai fait un bac-SI (3 filles sur 30) et jamais nous avons été mis en arrière car nous étions des filles. Ce sont les filles elles même qui ne s’intéressent pas particulièrement au monde de l’informatique… » (Fille en DUT MMI)

Enfin, troisièmement, pour certains répondant(e)s, être une fille dans un secteur majoritairement masculin comprendrait des avantages sur la phase de recrutement avec une idée sous-jacente de quotas, mais aussi des inconvénients dans les conditions de travail en poste :

« Être une fille en informatique est un gros avantage. Les entreprises et les écoles qui favorisent la mixité sont en manque de fille et donc il y a beaucoup plus de chance d’être embauchée. J’ai pu constater cela dernièrement lors de la recherche d’alternance. Les entreprises venaient à moi et non l’inverse ce qui est surprenant dans le contexte de restriction budgétaire du moment. » (Fille en DUT Informatique)

« Être une femme en informatique est un avantage de nos jours ou on cherche a avoir un ratio homme femme de 50-50 et ou les femmes sont moins nombreuses. » (Garçon en DUT Informatique)

« Les femmes sont rarement prises au sérieux, c’est agaçant. […] J’aurais peu de chance d’avoir une promotion, que je devrais encore plus me battre qu’un homme. » (Fille en DUT MMI)

« Je pense que dans l’informatique et particulièrement dans les jeux vidéo, les femmes sont plus sous-estimées quant à leur compétence et à tord. Il faut savoir parfois faire plus d’efforts pour montrer notre valeur » (Fille en DUT Informatique)

En définitive, pour résumer ces résultats, nous pouvons citer deux commentaires (fille et garçon) qui illustrent à eux seuls fondamentalement la question du genre dans le domaine professionnel :

« Est-ce que mon genre détermine mon avenir ? » (Fille en DUT Informatique)

« Cette question ne devrait même pas exister, peu importe le genre nous sommes tous humains et égaux et si ce n’est pas le cas cela devrait l’être » (Garçon en DUT MMI)

Ces deux citations, très pragmatiques, relèvent l’agacement ressenti par les jeunes générations de devoir aujourd’hui se poser la question du genre qui abonde dans les débats, manifestations et écrits, bien au-delà de la seule formation universitaire et du monde professionnel auquel ils se destinent.

D’autres travaux de recherches (De Ceglie et Hassani, 2018 ; De Ceglie, 2017 ; De Ceglie et Pélissier, 2014) soulignent que les stratégies de carrière professionnelle des femmes sont différentes de celles des hommes. En effet, la question du genre influence les interactions et les représentations, notamment sur les postes à pouvoir. Les représentations implicites liées au plafond de verre, s’avèrent se reproduire dans certains domaines où le faible nombre de femmes est présent. Celles qui s’y aventurent sont souvent vues comme « transgressant les stéréotypes de sexe » (Ferrière et Morin-Messabel, 2013). La perception des étudiantes interrogées dans le cadre de cette étude, sur les valeurs d’égalité est fondée sur des représentations professionnelles préexistantes, selon lesquelles il existe des métiers pour les hommes et des métiers pour les femmes. Ces perceptions sont renforcées par les valeurs sociales associées à chaque sexe : la force, la compétition, la capacité d’entreprendre, la performance pour les hommes ; l’esthétique, le soutien, l’échange et la communication pour les femmes. Si aujourd’hui les étudiantes et les étudiants voient la mixité comme un atout, il reste encore à passer le cap des représentations sociales et professionnelles associées à chaque sexe, fortement ancrée dans la construction identitaire des individus.

Conclusion

Dans cette étude, nous avons souhaité interroger les étudiants et étudiantes inscrit(e)s en formation (DUT Informatique et MMI) sur la question du genre. Les résultats montrent que la mixité est importante pour la grande majorité de ces étudiant(e)s, futurs techniciens de l’informatique ou du multimédia. Ils soulignent qu’être une fille n’est pas à leur yeux une faiblesse dans ce domaine aussi bien en formation que dans le monde professionnel. Le choix de la filière s’inscrit ainsi dans une orientation professionnelle choisie, et la mixité est présentée comme un atout pour la grande majorité des étudiant(e)s.

Cependant, certains commentaires déposés dans le questionnaire par des filles inscrites en informatique et multimédia, spécifient la crainte d’un manque de reconnaissance de leur travail. Cette crainte n’est pas fondée sur des retours d’expériences (ces étudiantes n’ont pas encore réalisé de stage en entreprise) mais plutôt sur des aprioris dont il serait intéressant d’interroger les fondements lors d’une prochaine étude.

Par ailleurs, si la mixité est prise en considération par les étudiants des deux sexes dans les deux disciplines questionnées (MMI et Informatique), reste à s’interroger sur les raisons de la faible présence des filles en DUT informatique par rapport au DUT MMI.

Soulignons enfin, d’un point de vue méthodologique, les résultats obtenus par cette étude sont à nuancer compte tenu du nombre de filles ayant participé (ex : en seconde année Informatique, seules 10 filles ont été sollicitées et 5 ont répondu au questionnaire). On peut s’interroger sur les raisons de ce taux de retour : les filles ne se sentiraient-elle pas concernées par ces questions de genre ?

Références

Bihr, A. et Pfefferkorn, R. (2002). Hommes, femmes, quelle égalité ?, Paris : Ed. de l’Atelier.

Bourdeloie, H., Julliard, V., Quemener, N. (2014). « La construction des identités de genre à l’ère du numérique. Usages et représentations », Actes du Séminaire Genre, Médias et Communication, 13 mars, Paris.

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[1] Cafépédagogique.net (2013), « Le numérique et le genre : Quelle école contre les inégalités ? », article du 8 mars 2013, par F. Jarraud et consulté le 14 juillet 2020 sur : http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/03/08032013Article634983227951910384.aspx
[2] Projet « genre et numérique », soutenu financièrement par l’appel à projet de l’ESPE- Languedoc Roussillon et la COMUE Languedoc Roussillon, « Recherches dans le domaine de l’éducation et de la formation ».
[3] Codingame.com (2019), « Codingame Developer Survey Report 2019 », consulté le 4 juin 2020 sur : https://www.codingame.com/work/resources/codingame-2019-developer-survey/cover/
[4] Digital-society-forum.orange.com (2014), « Les métiers liés au numérique sont-ils genrés ?», article publié le 24 juin 2014 par E. Bastien et consulté le 4 juin 2020 sur https://digital-society-forum.orange.com/fr/les-forums/277-les_metiers_lies_au_numerique_sont-ils_l_genres_r
[5] Le but de l’association est de réduire la fracture numérique entre générations.

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