Article de recherche
The blended class: a rich, flexible and efficient teaching environment for second language skills acquisition
Svetla KAMÉNOVA
KAMÉNOVA Svetla (Département d’études françaises – Université Concordia, Montréal, Canada)
RÉSUMÉ
L’hétérogénéité de la population étudiante dans les universités canadiennes est une réalité bien connue. Elle relève du fait multiâge, des différentes façons d’étudier, de la diversité des origines, des parcours scolaires variés. Quelles seraient donc les solutions pour gérer l’hétérogénéité en classe ? Le mode hybride s’en révèle une, avec sa flexibilité et son efficacité. Forums de discussion, collaborations synchrones et asynchrones, hyperliens, vidéos, sont quelques-uns des outils TIC que nous utilisons dans notre cours hybride en Français des affaires à l’Université Concordia (Canada) et grâce auxquels les participants profitent de l’enseignement à leur rythme. Toutefois, le professeur se doit d’intégrer le numérique de façon responsable et équilibrée. Il s’agit ici de bien départager les parties se prêtant mieux à l’utilisation du numérique de celles qui demandent un enseignement en présentiel.
Mots-clés : FLS, cours hybride, hétérogénéité, TIC, autonomie
SUMMARY
The heterogeneity of the student population in Canadian universities is a well-known reality. It stems from the fact that the students are of different ages and come from diverse backgrounds; they have different ways of studying, varied academic experience.So what would be the solutions in managing heterogeneity in the classroom? The blended mode of education with its flexibility and efficiency is one such solution. Discussion forums, synchronous and asynchronous collaborations, hyperlinks and videos are some of the ICT tools that we use in our hybrid course in Business French at Concordia University (Canada). This approach allows participants to benefit from learning at their own pace. However, the professor must integrate digital technology in a responsible and balanced way. This article stresses the importance of clearly distinguishing between the elements of teaching that are better suited to the use of digital technology and those that require face-to-face education.
Keywords: FSL, hybrid course, heterogeneity, ICT, autonomy
Contexte et problématique
Nous sommes tous témoins, aujourd’hui, de classes multiethniques et multigénérationnelles (Brookfield, 2006 ; Kane, 2009) engendrant différents styles, niveaux, formats et stratégies d’apprentissage (Puren, 2013) ; d’étudiants adultes avec des responsabilités familiales et professionnelles (Knowles et al., 2005) ; de la génération Net du 21e siècle ayant grandi avec les dernières inventions technologiques. Dans cette réalité, la formule hybride permet-elle de s’adapter aux pratiques étudiantes tout en conservant les objectifs pédagogiques ? Quels avantages présenterait-elle et quelles en seraient les contraintes ? Pour y apporter des éléments de réponse, nous proposons de partager notre expérience dans la conception et le déroulement d’un cours hybride en français des affaires offert au Département d’études françaises de l’Université Concordia, Montréal, Canada. Dans une première partie, nous présenterons brièvement le concept de dispositif mixte et la méthodologie pour son élaboration. Dans une deuxième partie, nous ferons une analyse des résultats observés en classe.
L’innovation techno-pédagogique constante propose de nouvelles méthodes d’enseignement-apprentissage. Cela implique que les étudiants et les enseignants doivent s’adapter à des formats universitaires différents des cours académiques traditionnels. Dans ce sens, une partie de la formation peut être proposée sous la forme hybride par l’alternance d’activités pédagogiques en présentiel et à distance. Depuis une quinzaine d’années, l’enseignement hybride est bien défini par différents auteurs (Charlier, Deschryver et Peraya, 2006 ; Ross et Gage, 2006 ; Thome, 2003) qui montrent des pratiques à distance incorporées à un cours en présentiel.
Questions qui motivent le projet
L’intégration des TIC dans l’enseignement provoque un repositionnement des universités dans leur offre et répond aux besoins évolutifs des apprenants du 21e siècle. Les étudiants sont de plus en plus des gens qui sont parents ou qui travaillent. Au Québec par exemple, plus de 70 % des étudiants universitaires travaillent tout en étudiant (le taux est de 40 % au Canada). Nous sommes donc en présence d’une réalité complexe qui semble devenue la norme et qui demande des pistes de solution variées pouvant assurer l’accès à l’éducation supérieure. Dans ce cas de figure, la formation hybride permettrait de gérer l’hétérogénéité des étudiants et apparaîtrait comme un élément de solution. En outre, c’est une modalité de formation en langue de plus en plus fréquente en milieu universitaire (Charlier, Deschryver et Peraya, 2006 ; Develotte et Mangenot, 2010 ; Gruba et Hinkelman, 2012). Jusqu’à récemment, notre département ne possédait aucun cours en ligne ou hybride. Trois raisons principales nous ont guidées dans l’élaboration du cours mixte en français des affaires (langue seconde), à savoir :
- répondre à une demande institutionnelle de diversification des modalités d’apprentissage ;
- offrir un cours en affaires plus flexible en matière de temps et d’espace afin d’augmenter la clientèle ;
- tester et gérer de nouvelles modalités de formation en appliquant l’enseignement/apprentissage collaboratif (pédagogie active) qui permet de motiver et d’impliquer les étudiants dans leurs apprentissages.
L’éducation étant un enjeu des plus complexes, il est clair que les technologies n’y apporteront pas la solution miracle. Elles permettent, toutefois, la multiplication des voies d’accessibilité au savoir et aux connaissances.
Cadre théorique et démarche méthodologique
Nous situons notre dispositif dans une perspective actionnelle de l’enseignement/apprentissage des langues selon laquelle l’apprenant est placé au centre de son apprentissage dans le but de réaliser différentes tâches langagières qui devraient être signifiantes et contextualisées. Notre concept principal est la tâche langagière médiatisée qui est le moteur des activités à réaliser et motive l’apprenant à s’engager dans son apprentissage afin de produire un résultat significatif dans la langue cible (Ellis, 2004 ; Nunan, 2005).
La complémentarité et la continuité entre les activités en présence et à distance sont les aspects les plus complexes à concevoir et à gérer pour l’enseignant qui orchestre une formation hybride en langue (Gatti, 2015 ; Lecoin-Hamel, 2014 ; Soubrié, 2010). Pour notre contexte médiatisé, les activités d’enseignement/apprentissage sont organisées selon trois phases : la phase de compréhension, la phase d’exploration et la phase de manipulation. Les phases de compréhension et d’exploration sont réalisées en présentiel, car étant les plus complexes et demandant une explication de la part de l’enseignante afin que les étudiants comprennent les divers concepts pour pouvoir ensuite travailler en autonomie. La phase de manipulation est réalisée à distance en collaboration avec les pairs et avec l’accompagnement du professeur, en mode asynchrone (forums, courriels, clavardage). Les étudiants travaillent sur Moodle, la plateforme d’apprentissage en ligne adoptée par l’Université Concordia et ont aussi à leur disposition un recueil de textes spécialement conçu pour le cours.
La démarche d’enseignement suit la pédagogie inversée, c.-à-d. les étudiants utilisent leur manuel ou des documents postés par l’enseignante sur Moodle pour accéder au matériel demandé. Ensuite, dans des sous-groupes de trois, ils discutent sur le Wiki ou sur le Forum pour arriver, d’un commun accord, à la solution du problème posé
Voici schématiquement comment nous expérimentons ce cas de figure :
- Formulation du sujet de discussion par le professeur ;
- Partage des idées de chaque étudiant avec les autres pairs du sous-groupe ;
- Retour sur les nouveaux paradigmes d’apprentissage en salle de classe.
Résultats
L’observation a été réalisée sur quatre groupes de Français des affaires représentant au total 105 étudiants pour les années universitaires 2017-2020. Les profils des apprenants étaient assez hétérogènes. En effet, il y avait des étudiants qui suivaient les programmes du Département d’études françaises, mais également des apprenants d’autres départements de l’Université qui prenaient ce cours comme « au choix », c.-à-d. hors programme. Le niveau du français dans la classe était entre B1 et B2.
Voici ce que nous avons constaté : la formule hybride s’avère efficace particulièrement avec les apprenants adultes et ne réduit en rien l’interaction préconisée par le courant socioconstructiviste (Jonnaert et Vander Borght, 2008). La technologie permet la mise en place de dispositifs précieux, tels visionnement et production de clips vidéo, dialogues synchrones et asynchrones, travail collaboratif en temps réel ou différé, quiz en ligne, etc. À la différence des échanges en salle de classe généralement monopolisés par quelques apprenants, le mode hybride propose le forum de discussion qui accorde à tous les participants la possibilité d’échanger. En analysant les historiques des forums, nous remarquons que des apprenants qui, en cours traditionnel, sont généralement très discrets et réservés, participent activement dans les discussions asynchrones. De plus, rappelons le fait que dans les forums asynchrones, qui proposent un fil de discussion en relation avec une question, les étudiants débattent par écrit. À ce propos, plusieurs études indiquent l’importance capitale de l’écrit dans la construction des connaissances, s’appuyant sur l’affirmation d’après laquelle l’écriture, intrinsèquement liée aux forums, occasionne un travail cognitif jugé plus rigoureux que celui des échanges oraux et aide les processus cognitifs en déclenchant une plus grande réflexivité (Henri et Lundgren-Cayrol, 2001). De surcroît, par la présence de questions, l’écriture mobilise les stratégies cognitives et donne lieu à la reformulation et à la synthétisation. En même temps, la trace de réponses et le jugement par les pairs constituent une raison de plus pour une vigilance accrue de la part des étudiants quant à la qualité des échanges écrits qu’ils publient dans les forums. Ceux-ci constituent également un excellent contexte d’écriture moins conformiste en aidant l’amélioration de la compétence scripturale des participants et en modifiant leur représentation de l’écrit, souvent appréhendé comme mode de communication formel et quasi inaccessible.
Les étudiants apprécient aussi les plateformes collaboratives comme Framaestro, PublishWithMe, ShareText, entre autres, qui leur donnent la possibilité de collaborer avec leurs pairs pour présenter une version commune d’un document commercial. La vérification des rapports d’activité montre un nombre de logs très important avoisinant les 95 %. Les quiz en ligne et la consultation des documents déposés sur la plateforme par l’enseignante se remarquent également par une consultation constante sur chacun des modules. Notons qu’à la fin du semestre, le cours est évalué par les étudiants au travers d’un questionnaire anonyme rendu accessible seulement après la remise officielle des notes finales. Les réponses des apprenants témoignent clairement de la satisfaction de ceux-ci d’avoir surtout eu la possibilité de participer à toutes les activités répertoriées dans le plan de cours. Il y ressort également leur appréciation de l’autonomie d’apprentissage dont ils ont pu bénéficier dans la formule hybride. Quant à l’enseignante, elle a constaté que la modalité hybride renforçait nettement la responsabilité des étudiants vis-vis des autres participants du groupe et développait ainsi leur esprit d’équipe, éléments particulièrement recherchés dans le domaine des affaires nord-américain. Rappelons à ce sujet que les milieux professionnels misent beaucoup sur des individus qui ont acquis des niveaux de maturité et d’autonomie considérables et qui sont capables d’accomplir leurs tâches efficacement à l’intérieur d’une équipe de travail.
Conclusions et perspectives
L’article tente d’identifier le cours hybride comme une possibilité pour faire face à l’hétérogénéité des classes de langue dans les universités canadiennes d’aujourd’hui. Notre expérience universitaire en enseignement hybride a modifié le format académique traditionnel. Si au début de la session les étudiants étaient interpellés, leur participation remarquable sur la plateforme d’apprentissage a montré leur intérêt pour cette pratique.
Un bémol qui n’est aucunement attribuable au format hybride, mais plutôt au travail d’équipe, est le consensus autour de la note de groupe. Certains étudiants s’en sont sentis lésés malgré l’application, par l’enseignante, de plusieurs outils d’évaluation tout au long de la session, comme les rapports d’activités par les membres d’une équipe, les grilles d’autoévaluation, les grilles d’évaluation par les pairs, les co-évaluations par l’enseignante et les coéquipiers. Plusieurs auteurs (Kozanitis, 2005 ; Proulx, 2009) rappellent pourtant les dangers de ces pratiques tels tendance à donner à tous des notes dans la moyenne privant ainsi les plus travaillants de compensation méritée et offrant aux quasi-absents une note supérieure à leur implication dans le travail de groupe. C’est en quelque sorte accepter que des individus profitent du travail des autres et obtiennent la même note. Aussi faut-il souligner qu’évaluer le travail en équipe ne signifie pas nécessairement que les étudiants s’engageront activement dans le projet. Peut-être, à la prochaine classe hybride, serait-il plus approprié d’adopter des pratiques évaluatives plus individualisées et d’utiliser l’évaluation comme indicateur des progrès des étudiants.
Nous restons convaincue que l’enseignement mixte, réunissant les meilleurs éléments de la formation en ligne et la formule traditionnelle, constitue un exemple d’enseignement/apprentissage qui répond aux défis occasionnés par les nouvelles générations d’apprenants universitaires. Toutefois, le principal grief à formuler à son encontre est qu’il est chronophage non seulement pour sa préparation, mais également à l’égard du temps supplémentaire nécessaire pour s’habituer comment enseigner différemment. L’enseignant doit pouvoir consacrer du temps à l’acquisition des connaissances et des compétences requises pour être en mesure de piloter une classe virtuelle (Fiévez, 2017). Aussi faut-il être vigilent sur le maintien des liens de complémentarité entre cours en présentiel et cours à distance : l’enseignant doit faire un choix judicieux des objectifs à enseigner et des moyens à y parvenir. De plus, il est nécessaire de formuler clairement les consignes des tâches à accomplir en téléformation afin d’assurer la bonne compréhension du déroulement des activités. Ajoutons à cela que l’institution (le collège, l’Université) doit être prête à assurer un support technologique infaillible pour que l’enseignant puisse offrir un cours de qualité tout en comptant sur le soutien efficace de son établissement.
Les étudiants passent aussi plus de temps à apprendre dans une formule mixte. Donc vendre la formule hybride pourrait s’avérer tâche difficile, surtout quand professeurs et étudiants commencent à se rendre compte que l’environnement mixte est plus exigeant que l’environnement traditionnel. Un cours hybride devrait donc être donné par des professeurs qui croient profondément aux avantages potentiels, à la plus-value et aux apports spécifiques des technologies au contenu d’enseignement.
Bibliographie
BROOKFIELD, S. D. (2006). The skillful teacher: On technique, trust, and responsiveness in the classroom. San Francisco, CA, Éd. Jossey-Bass, 297 p.
CHARLIER, B., DESCHRYVER, N. et Peraya, D. (2006). Apprendre en présence et en distance. Une définition des dispositifs hybrides, in Distances et Savoirs 2006 (Vol. 4), p. 469-496
DEVELOTTE, Chr. et MANGENOT, F. (2010). Former aux tutorats synchrone et asynchrone en langue, in Distances et Savoirs 2010 (Vol. 8), p. 345-359
ELLIS, R. (2004). Task-based Language Learning and Teaching. Oxford University Press, 398 p.
FIÉVEZ, A. (2017). L’intégration des TIC en contexte éducatif : modèles, réalités et enjeux. Presses de l’Université du Québec, Québec, 280 p.
GATTI, Chr. (2015). Design of Experiments for Reinforcement Learning, Springer, Switzerland, 176 p.
GRUBA, P. et HINKELMAN, D. (2012). Blending Technologies in Second Language Classrooms. Palgrave Macmillan, London, 395 p.
HENRI, F. et LUNDGREN-CAYROL, K. (2001). Apprentissage collaboratif à distance. Presses de l’Université du Québec, Québec, 204 p.
JONNAERT, Ph., et VANDER BORGHT, C. (2008). Créer les conditions d’apprentissage. Un cadre de référence pour la formation didactique des enseignants. Bruxelles, De Boeck- Université, 431 p.
KANE, S. (2017). The Multigenerational Workforce https://www.thebalance.com/the-multigenerational-workforce-2164698
KNOWELS, M. S., HOLTON E., et SWANSON, R. (2005). The adult learner: The definitive classic in adult education and human resource development. Boston, MA: Elsevier, 319 p.
KOZANITIS, A. (2005). L’évaluation du travail en équipe in Bureau d’appui et d’innovation pédagogique, Polytechnique Montréal, Université d’Ingénierie
https://www.polymtl.ca/appui-pedagogique/ressources-pedagogiques/documents-consulter
LECOIN, I. et HAMEL, M.-J. (2014). Diapositive hybride pour un cours de grammaire en français langue seconde in Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire / International Journal of Technologies in Higher Education, 11 (1), p. 35–49
NUNAN, D. (2005). Designing Tasks for the Communicative Classroom. Cambridge University Press, 196 p.
PROULX, J. (2009). Enseigner : réalité, réflexions et pratiques. Cégep des Trois-Rivières, 564 p.
PUREN, Ch. (2013). La didactique des langues étrangères à la croisée des méthodes. Essai sur l’éclectisme (3e éd.). Paris, Didier/CRÉDIF, 139 p.
SOUBRIÉ, T. (2010). Internet au service de la tâche : un travail d’ajustements in Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire / International Journal of Technologies in Higher Education, 7 (1), 6–17
THIME, K. (2003). Bleanded Learning: How to Integrate Online end Traditional Learning. London: Kogan Page Limited, 148 p.
WALL, A. E. T., BREULEUX et TANGUAY, V. (2017). Le réseautage et l’intégration des TIC dans l’apprentissage : Les défis de la distance dans la communauté éducative anglophone du Québec