Article de recherche
HEISER Laurent (Laboratoire d’Innovation et Numérique pour l’Education – Université Côte d’Azur)
ROMERO Margarida (Laboratoire d’Innovation et Numérique pour l’Education – Université Côte d’Azur)
LOHNER Duncan (Laboratoire d’Innovation et Numérique pour l’Education – Université Côte d’Azur)
Mots-clés : numérique, savoirs, critique, expérience vécue.
Contexte
Nous nous appuyons sur une recherche conduite au sein d’un tiers-lieu de production et d’apprentissage appelé le Fablab du collège de Sanary. Une recherche-action est conduite dans le cadre d’un incubateur numérique par une équipe de chercheurs, avec le soutien de la DRANE de Nice. Notre recherche débute par le constat selon lequel les professeurs expérimentés ont créé un Fablab autour d’activités créatives et manuelles pour des élèves à travers l’utilisation de dispositifs combinant des technologies analogiques et numériques. Dans ce contexte, les usages du numérique ont une visée d’engagement pas uniquement cognitif mais aussi créatif (Romero et al., 2017). Nous avons pu constater, lors de nos observations exploratoires, les effets positifs au regard de la créativité et de l’entraide. Cependant, certaines compétences essentielles au 21e siècle, comme la pensée informatique, sont peu développées. Il s’agissait donc de proposer aux enseignants de recourir à une tâche de résolution créative de problème afin d’introduire un nouveau dispositif en lien avec des compétences numériques.
Approche sur le numérique en éducation
Parmi les éléments qui guident notre réflexion, précisons que nous abordons le numérique en éducation avec une approche socio-critique (Collin et al., 2015). Nous savons que l’impact du numérique éducatif est limité lorsque la pédagogie de l’enseignant se concentre uniquement sur les outils ou sur l’efficacité des outils pour mieux enseigner. Selon cette approche, il s’agit donc moins d’équiper l’enseignant d’outils que de l’aider à penser sa pédagogie en fonction des enjeux que représente le numérique (Doueihi, 2011). Les compétences numériques des élèves sont donc ciblées et mises au centre de la réflexion au regard de la conception pédagogique.
Objectifs de la recherche
Comme nous venons de le voir, il s’agissait d’introduire une activité qui, au sein du Fablab, ciblait le développement de la créativité, de la pensée critique et informatique des élèves. Précisons qu’elle avait déjà fait l’objet d’une collecte de données dans le cadre d’un autre programme de recherche (ANR CreaMaker) qui a permis de créer une ontologie du comportement des apprenants (Roux et al., 2021) pendant la tâche. Notre objectif principal était de tester la tâche CreaCube quant à sa capacité à engager les compétences numériques des élèves, notamment, en lien à la résolution créative de problèmes.
Définition de la tâche
Lors de la tâche, l’élève possède 4 pièces modulaires. Il doit les assembler pour former un véhicule autonome qui part du point rouge et circule seul jusqu’au point noir. Le sujet est invité à filmer sa propre activité.
Question de recherche
Nous avons donc cherché à répondre à la question suivante : dans quelle mesure l’activité CreaCube, comme tâche de résolution de problème, participe à l’émancipation de l’apprenant ? Pour y répondre, nous avons voulu décrire et comprendre la pensée de l’élève pendant la médiation, une entreprise que nous avons conduite au prisme d’un certain bricolage méthodologique.

Cadre théorique
La méthodologie de cette recherche est assise sur le cadre épistémologique de l’énaction (Schmitt, 2018). Il s’agit de penser notre conscience comme étant inséparable de l’environnement dans lequel elle agit. Ce couplage peut être décrit mais à condition que le chercheur puisse accéder à la partie cachée de l’activité, à savoir la cognition du sujet. C’est précisément une ambition à l’origine du projet Remind (Schmitt & Aubert, 2017) ayant déjà fait ses preuves dans le contexte de la visite muséale. Pour respecter son protocole, nous avons laissé le sujet filmer son activité grâce à des lunettes-caméra. Nous lui avons, ensuite, proposé de participer à un entretien de restitution subjective (Collet et al., à paraître) soit un retour sur son activité à partir de la vidéo à la première personne.

Résultats
Notre analyse consistait à repérer des unités significatives de l’expérience (Theureau, 2015) entendu comme étant des marqueurs de l’expérience vécue de l’élève. Ceci nous a permis de nous rapprocher de son expérience et de repérer les éléments saillants qui agissent pendant le processus de résolution du problème (la construction du véhicule).
D’après notre analyse nous relevons que l’élève s’est imaginé que l’une des pièces modulaires, la blanche, comportait des capteurs ultra-sons. C’est un élément perturbateur lors de la réalisation de la tâche qui le fait douter de ses capacités à résoudre le problème. Il finit pourtant par comprendre qu’il était en présence d’un biais. Nous pouvons donc dire qu’en démystifiant sa représentation de la robotique, le sujet arrive à relever le défi.
Discussion
La tâche Creacube, tout comme d’autres activités actuellement en cours d’élaboration et d’expérimentation, notamment dans le cadre d’un autre programme de recherche (le GTNum Scol_ia), vont permettre de continuer l’analyse des médiations numériques. Leur efficacité dépend de leur capacité à enrichir les représentations des élèves.
Notre approche, celle de l’entretien en restitution subjective, sera complétée par une méthode par questionnaire qui pourront être conduites directement par les enseignants en contexte de classe ordinaire. Nous introduirons prochainement un livret pédagogique, appelé 5J5IA et partagé sur Twitter (#5J5IA), pour permettre aux enseignants de réfléchir à la manière dont leur discipline pourrait participer à renforcer l’esprit critique des élèves au regard de l’intelligence artificielle.
Bibliographie
Collet, L., Durampart, M., Heiser, L., & Picard, L. (à paraître). Le enjeux expérientiels de l’utilisation d’une Intelligence Artificielle (IA) d’aide à l’analyse de tissus prostatiques par des médecins anatomopathologistes. Communiquer, Revue de communication sociale et publique.
Collin, S., Guichon, N., & Ntebutse, J. G. (2015). Une approche sociocritique des usages numériques en éducation. Sciences et Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation et la Formation, 22. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01218240
Doueihi, M. (2011). Pour un humanisme numérique. Le Seuil.
Romero, M., Lille, B., & Patiño, A. (2017). Usages créatifs du numérique pour l’apprentissage au XXIe siècle. PUQ.
Roux, L., Romero, M., Alexandre, F., Viéville, T., & Mercier, C. (2021). Développement d’une ontologie pour l’analyse d’observables de l’apprenant dans le contexte d’une tâche avec des robots modulaires. 47.
Schmitt, D. (2018). L’énaction, un cadre épistémologique fécond pour la recherche en SIC. Les Cahiers du numérique, Vol. 15(2), 93‑112.
Schmitt, D., & Aubert, O. (2017). REMIND : Une méthode pour comprendre la micro-dynamique de l’expérience des visiteurs de musées. Revue des Interactions Humaines Médiatisées (RIHM) Journal of Human Mediated Interactions, 17(2), 43‑70.
Theureau, J. (2015). Le cours d’action : L’enaction & l’expérience (Premiere edition). Octares Editions.