MOOC, co-modalités et spécialisations : Indices d’engagement des étudiants dans l’accès aux savoirs

Article de recherche

GARDIÈS Cécile (UMR EFTS – ENSFEA – Université de Toulouse)
FAURÉ Laurent (UMR EFTS – ENSFEA – Université de Toulouse)


Mots-clés : MOOC, co-modalités, médiation et de médiatisation des savoirs, circulation et appropriation des savoirs, engagement.


La formation des étudiants de l’enseignement supérieur en France tend à s’appuyer sur des modalités hybrides que ce soit dans la formation initiale, dans la formation continue ou dans des formes d’accès autonomes à des compléments de formation basées sur le volontariat. Ainsi l’engouement pour les MOOC (depuis leur création en 2008) ou autres formes de modules « à la carte » est un « mouvement d’externalisation des savoirs sur Internet » (Lebrun, 2015) qui s’appuie sur une offre toujours plus importante et tend à supplanter les traditionnelles qualifications institutionnelles pour des spécialisations individuelles. La période de pandémie accentue ce phénomène sans pour autant inverser ce que beaucoup d’études ont déjà pointées, notamment le faible taux de suivi réel de ces formations par rapport au taux d’inscriptions. Jézégou souligne à ce propos le « rôle significatif joué par plusieurs facteurs motivationnels et processus d’autorégulation » (Jézégou, 2018) qui ne vont pas de soi. Ce décalage mérite que l’on s’interroge sur les finalités de ces formations et sur l’étude réelle des savoirs qui sont mis en jeu, et ce, en fonction des modalités proposées. En effet, les premiers constats portant sur les usages des MOOC ont amené les concepteurs à faire évoluer ces formations dites massives vers des co-modalités où la ré introduction d’un temps de présence vise à enrôler les étudiants (Saillot, 2013) pour dépasser l’effet de désengagement constaté. « La présence (…) constitue une composante essentielle pour soutenir l’apprenant dans son parcours d’apprentissage et, par extension, son maintien dans le dispositif » (Peltier et Campion, 2018). Dussarps pose même la question de la ré-humanisation des MOOC « les MOOC manquent-ils de présence humaine ? La question mérite d’être posée, tant les chiffres diffèrent entre nombre d’inscrits et nombre d’actifs » (Dussarps, 2018).

L’autre tendance semble être de proposer des MOOC plus spécialisés (Vrillion, 2017) qui diluent l’aspect massif pour cibler des besoins plus contextualisés où l’engagement dans l’étude, en répondant à un besoin d’agir, rend l’accès aux savoirs prégnant. Autrement dit, l’évolution des MOOC semble repensée par une réflexion différente sur les nécessaires processus de médiation et de médiatisation des savoirs (Canizares et Gardiès, 2020) à mettre en place qui se traduisent par une adaptation des dispositifs. Cette notion de dispositif est entendue au sens d’« une instance, un lieu social d’interaction et de coopération possédant ses intentions, son fonctionnement matériel et symbolique enfin, ses modes d’interaction propres » (Peraya, 1999).

Prolongeant d’autres recherches sur ce thème, notre recherche vise à étudier l’accès aux savoirs en lien avec les finalités des concepteurs perceptibles dans la manière dont ces modules sont organisés en dispositifs particuliers. Nous l’approchons dans deux types de MOOC, un premier qui s’appuie sur des co-modalités présence/distance dont les savoirs en jeu s’inscrivent dans un parcours de master et un second MOOC spécialisé visant un public ciblé et offrant à des étudiants des savoirs en sus des cursus traditionnels. A partir d’une analyse de chacun de ces deux dispositifs mettant en avant la médiatisation des contenus et l’organisation pédagogique, nous cherchons à mettre au jour différents indicateurs susceptibles de montrer comment les étudiants s’engagent et manipulent les savoirs mis en jeu dans ces modules.

D’un point de vue théorique, nous nous appuyons sur la définition du concept de dispositif, sur les processus de médiation et de médiatisation des savoirs, leur circulation et leur appropriation au regard de l’engagement dans la tâche. Nous considérons la médiation en tant que relation et comme un acte social, mais également comme contenu car elle désigne « un processus créateur d’un nouveau message » (Gardiès, 2012). Elle possède une dimension langagière car elle permet d’établir une communication médiatisée mais aussi logistique car elle suppose un dispositif, « substrat matériel » (Jeanneret, 2005) de cette communication, et une dimension symbolique car elle fait référence à un système de représentations commun à toute une société qui correspond à une forme d’identification sociale, de sociabilité (Canizares et Gardiès, 2020).

Du point de vue méthodologique (Gardiès et Fauré, 2020) nous avons procédé en trois étapes : 

  • une première étape concernait la description systématique des modules (voir tableau ci-dessous),
  • une deuxième étape portait sur les statistiques d’utilisation de la plateforme de formation,
  • une troisième étape concernait le recueil de « traces » construites par les publics en formation et des interactions dans les espaces dédiés.

Sections Parties Sous-parties Supports Activités des apprenants Traces pour la recherche
Introduction 1. Bienvenue Capsule vidéo 2min20, Texte Observation de la capsule, Lecture du texte
2. Connaissances et attentes QCM 12 questions, avec précisions pour certaines questions Coche les réponses, Rédige des explications Réponses aux questions
1. GIRE Participative 1. GIRE, gestion intégrée des ressources en eau a. Gestion intégrée des ressources en eau Capsule vidéo 7min55, 3 documents .pdf complémentaires (8, 7 et 3 pages) Observations + Lectures
b. Emergence du concept de GIRE Capsule vidéo 12min Observation
c. Qu’est ce que la GIRE ? Texte, Dossier pdf 80 pages Lectures
d. GIRE et échelle de gestion Capsule vidéo 8min29 Observation
e. Critique de la GIRE 2 capsules vidéo, 4min23, 7min39 Observation
Test QCM Questions en ligne Résultats
2. Participation du public à la gestion de l’eau a. Introduction Capsule vidéo 3min30 Observation
b. Contexte général de la participation 3 capsules vidéo 3min27,7min30, 6min18 Observation
c. Acteurs de la participation 2 capsules vidéo 5min52, 5min52 Observation
c. Ingénierie de la participation Capsule vidéo 4min41 Observation, Lecture

Tableau : extrait de la première étape 

Nous avons ainsi montré que ces modules peuvent être qualifiés de dispositifs hybrides car ils agencent des éléments entre eux de manière complexe dans un but précis d’apprentissage. Ils mettent en œuvre une forte médiatisation des savoirs qui vise différents modes d’appropriation. Dans la partie MOOC nous avons relevé très peu d’interactions à distance ce qui peut s’expliquer par les activités complémentaires en présence qui elles, permettent des transactions sur les objets de savoir comme nous avons pu l’observer. D’un point de vue quantitatif, voici un exemple de résultat basé sur les statistiques d’usage des différentes parties du module de formation.

Figure : Statistiques d’usages des différentes parties du module

Les deux modules les plus suivis sont ceux qui se déroulent en groupe qui apparaissent être plus concrets, pratiques et qui permettent l’appropriation rapide de méthodes et d’outils.On peut percevoir ici une différence dans le suivi réel des différentes parties, en fonction de l’exigence individuelle ou collective. La dimension collective semble motiver la participation.

En croisant ces données et en les comparant, nous tentons de montrer comment les savoirs circulent et sont appropriés par les étudiants au regard du positionnement institutionnel de ces modules de formation ouverts. Ce faisant nous interrogeons les usages sociaux des MOOC en termes de co-modalités et de spécialisations en les confrontant à l’engagement des étudiants dans l’accès aux savoirs.

Les principaux résultats montrent que les dimensions langagières de la médiation s’appréhendent dans les modes de textualisation et de médiatisation des savoirs, les dimensions techniques dans l’agencement de la plateforme et les dimensions symboliques au travers de l’identification à un groupe social. Des espaces de sémioses partagées (Hervé et Gardiès, 2015) peuvent se percevoir dans la manipulation, la récriture, l’enrichissement des informations par les étudiants qui peuvent être indices de construction de nouvelles connaissances. Par ailleurs lorsque le MOOC propose une hybridation du dispositif, cela oriente les modes d’appropriation, puisqu’à distance l’apprentissage est très individuel alors qu’en présence il est collaboratif, ce qui différencie aussi l’action didactique des enseignants, avec une responsabilité dans l’avancée des savoirs (Sensevy, 2011) haute côté enseignant à distance, une responsabilité plus partagée entre enseignants et étudiants en présence, l’usage de techniques didactiques est plus centré sur la définition et l’institutionnalisation à distance et plus centré sur la régulation en présence. Le rôle des étudiants reste peu actif à distance comme le montrent le nombre d’échanges et d’interactions très limité, et même s’il est limité, on note un écart entre le taux d’inscrits et celui des participants réels. C’est la co-modalité du dispositif qui concourt le plus ici à l’apprentissage de nouveaux savoirs. Le MOOC spécialisé présente lui un plus fort écart mais les étudiants qui le suivent sont d’autant plus actifs que les processus de médiation sont présents, on note un engagement qui peut être corrélé à la spécialisation du public. La médiatisation des savoirs semble influencer l’usage des dispositifs, même si la construction de nouvelles connaissances se manifeste timidement.

Bibliographie

Armstrong, L. (2014). 2013- the Year of Ups and Downs for the MOOC. Changing Higher Education. (http://goo.gl/SqwGWn)

Canizares, A. et Gardies, C. (2020). Approche systémique des concepts de médiation médiatisation et dispositif : la circulation des savoirs à l’œuvre dans une classe inversée en information-documentation. Revue les enjeux de l’information et de la communication, n°2, P. 21-40.

Dussarps, C. (2018). Faut-il (ré) humaniser les MOOC?. Revue française des sciences de l’information et de la communication, (12).

Jézégou, A. (2018). Diriger soi-même ses activités d’apprentissage par et dans un Mooc de type connectiviste: recherche conduite auprès de participants au C-Mooc francophone «Itypa 1». Journal of Distance Education/Revue de l’Éducation à Distance.

Gardies, C. (2012). Dispositifs info-communicationnels de médiation des savoirs : cadre d’analyse pour l’information-documentation. Thèse de doctorat, Université Toulouse Jean Jaurès.

Gardies, C. et Faure, L. (2020). Analyse d’un dispositif d’enseignement numérique : le MOOC TerrEau&Co. Rapport de recherche ANR Agreencamp, 89 p.

Gardies, C. (2016). Diffusion de l’information numérique et nouveaux espaces de savoirs : le cas du MOOC « DOC & SIC ». In : Raja Fenniche (Dir.). Hybridités, frontières et seuils. L’ouverture des espaces informationnels. Tunisie~: Université de la Manouba, p. 177-201.

Jeanneret, Y. (2005). La “société de l’information” comme figure imposée. Sur un usage particulier des mots en politique. La «société de l’information», entre mythes et réalités. Bruxelles : Bruylant, 435, 66-76.

Lebrun, M. (2015). L’école de demain : entre MOOC et classe inversée. Économie et management. La révolution numérique, 41-47.

Peltier, C., et Campion, B. (2018). Constructions langagières, relation et cognition dans les capsules vidéo des Mooc. Pour une revisitation des possibilités éducatives de la vidéo. Distances et médiations des savoirs. Distance and Mediation of Knowledge, 2018(21).

Peraya, D. (2017). Au centre des Mooc, les capsules vidéo: un renouveau de la télévision éducative?. Distances et médiations des savoirs. Distance and Mediation of Knowledge, (17).

Saillot, É. (2013). Caractérisation pragmatique des phases et déterminants de l’enrôlement des élèves en difficulté par des professeurs des écoles. Recherches en éducation.

Sensevy, G. (2011). Le sens du savoir. Bruxelles: De Boeck, 796 p.

Vrillon, É. (2017). Une typologie de MOOC de France Université Numérique (FUN): méthode et enjeux. Sciences et Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation et la Formation, 24(2), 87-111.

Shubina, M. (2016). Usability evaluation of MOOC platforms. Singh H., “Building effective blended learning programs”, Educational Technology, 2003, supérieur, Bruxelles, De Boeck, 2003, p. 43-68.

Singh, H. (2003). Building effective blended learning programs. Educational Technology-Saddle Brook Then Englewood Cliffs NJ-, 43(6), 51-54.

Zhao, Z., Wu, Q., Chen, H., & Wan, C. (2016, December). Learning Quality Evaluation of MOOC Based on Big Data Analysis. In International Conference on Smart Computing and Communication (pp. 277-286). Springer, Cham.

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