Comment favoriser les émotions positives et la réussite de l’apprenant en le rendant acteur de ses modalités d’évaluation ?

Retour d’expérience

How to promote the learner’s positive emotions and success with self –autonomy-based assessment ?

CHÉREL Laurence (Département Techniques de Commercialisation – IUT de Bordeaux – Enseignante titulaire en marketing)
LAPASSOUSE MADRID Catherine (Département Techniques de Commercialisation – IUT de Bordeaux – Enseignante titulaire en marketing)
methodepfr@u-bordeaux.fr


Résumé

A partir d’une méthode pédagogique centrée sur l’apprenant acteur de son apprentissage, les auteures ont constaté que l’autonomie qui peut renforcer la motivation chez certains est aussi une source d’anxiété pour d’autres, source d’échec dans leur parcours d’apprentissage. En conséquence, les auteures ont cherché à renforcer les émotions positives des étudiants en proposant des modalités d’évaluation adaptées aux différentes perceptions de l’autonomie des apprenants. Ce dispositif initialement hybride vient d’être testé dans le cadre du plan de continuité pédagogique en tout distanciel auprès de 200 étudiants en formation initiale et en alternance.

Mots clefs : Réussite / émotions / compétences / autonomie / numérique

Abstract

The authors have developed a self-autonomy-based learning method. They note that the autonomy that can strengthen motivation in some is also a source of anxiety for others, a source of failure in their learning path. Consequently, they sought to reinforce the positive emotions of the students by proposing assessment methods adapted to the different perceptions of the autonomy. This device originally hybrid has just been tested as part of the educational continuity plan in all distance with 200 students in initial training and alternance.

 Key Words:  Success/ Emotions/ Skills/ Autonomy/ Digital


Contexte et problématique

Le contexte concerne l’apprentissage du marketing dans le cadre d’études commerciales dans l’enseignement supérieur. Il s’agit d’une matière centrale pour laquelle les étudiants se déclarent très motivés. Le dispositif pédagogique mis en place par les auteures s’inscrit dans une approche par compétences et vise à stimuler l’engagement. Il consiste à demander à chaque étudiant – dans le cadre d’une pédagogie active et individualisée – d’autodéterminer son objet d’apprentissage en lui donnant pour consigne de choisir un produit en lien avec ses intérêts personnels et d’y appliquer les concepts théoriques (De Ketele 2016, Viau cité par Amadieu, 2016). L’étudiant est ainsi placé dans une situation d’apprentissage authentique qui lui permet d’acquérir des compétences selon son rythme propre. Ce dispositif conduit l’apprenant à s’approprier le cours de façon personnellement significative. Ceci renforce sa motivation (Smith, 2019). Ce dispositif initialement hybride vient d’être testé dans le cadre du plan de continuité pédagogique en tout distanciel auprès de 200 étudiants en formation initiale et en alternance.

A partir de cette méthode pédagogique centrée sur l’apprenant acteur de son apprentissage, les auteures ont constaté que l’autonomie qui peut renforcer la motivation chez certains est aussi une source d’anxiété pour d’autres. L’anxiété peut être associée à la peur d’échouer (Smith, 2019). En conséquence, les auteures ont cherché à adapter les modalités d’évaluation aux différentes perceptions de l’autonomie des apprenants. Elles cherchent ainsi à renforcer les émotions positives des étudiants. De nouvelles modalités d’évaluation ont été conçues sans pour autant diminuer le niveau d’exigence. Elles ont proposé des modalités d’évaluation avec un degré d’accompagnement modulé (accompagné, supervisé ou libre) à choisir en fonction de leur perception des émotions associées à leur degré d’autonomie et leur capacité perçue à réussir.

Cadre théorique /questions ou verrous scientifiques qui motivent le projet /enjeux de terrain

La méthode PFR1Pfrproduitfilrouge.com conçue par les auteures relève de la pédagogie active. Elle se caractérise par une combinaison de méthodes pédagogiques qui réduit la distance transactionnelle (Moore, 2015) et favorise le dialogue avec l’apprenant. A ce titre, elle s’inscrit dans la logique conceptuelle de l’agentivité définie par Bandura (2003). Mais la capacité à autoréguler ses propres apprentissages n’est pas la même pour chaque apprenant. Pour certains, une situation d’apprentissage « trop active » est susceptible de générer de l’anxiété, obstacle au succès du  parcours d’apprentissage (Smith, 2019). Les auteures souhaitent donc apporter une contribution à la question du rôle des émotions dans la réussite de l’apprenant.

Sur le terrain, cette question rejoint la préoccupation ministérielle actuelle de lutte contre le décrochage universitaire ; la réussite personnelle contribuant sans nul doute à la persévérance des étudiants dans leur parcours.

Démarche méthodologique

Pour évaluer la réussite des apprenants dans l’acquisition de compétences, les auteures se sont inscrites dans le projet de lutte contre le décrochage universitaire et l’insertion professionnelle mis en œuvre par les universités de Bordeaux, de Pau et des pays de l’Adour dénommé PARI (Passeport université – Accrochage- Raccrochage – Insertion professionnelle : https://www.iut.u-bordeaux.fr/general/projet-pari/). Leur méthode pédagogique fait partie des actions labellisées. A ce titre, elles peuvent recourir à des enquêtes de façon régulière.

Un questionnaire global commun à toutes les actions labellisées a été conçu par une psychologue. Chaque action homologuée PARI peut inclure des questions spécifiques à son activité pédagogique. Les questionnaires sont administrés en ligne de façon anonyme à la fin de chaque cycle d’enseignement et avant communication des notes aux étudiants. Ce dernier élément permet aux étudiants de répondre de façon déconnectée de leurs résultats chiffrés. Au sein de ces questionnaires, chaque responsable d’activités pédagogiques peut demander à ajouter des questions spécifiques. Une enquête composée de 14 questions fermées à choix multiples a été conduite, en décembre 2019, auprès de toute la promotion concernée (130 étudiants). Cette dernière avait pour vocation de vérifier l’efficacité du dispositif quant à la réduction de l’anxiété.

Effectivement, le même type d’enquête menée en décembre 2018 avait fait ressortir que 37 % des étudiants étaient nerveux et 36 % anxieux (73 % au total). Ces résultats ont questionné les auteures et les ont conduites à explorer les causes possibles de ces émotions négatives. La participation au STOL de Bilbao en juin 2019 leur a permis de comprendre que dans l’anxiété, il pouvait y avoir une dimension positive, celle de bien faire. Pour autant, l’analyse des émotions associées au dispositif révèle qu’elles ne sont positives qu’à hauteur de 36 %. En fait, il s’avère que l’autonomie qui peut renforcer la motivation chez certains est aussi une source d’anxiété pour d’autres. L’anxiété peut être associée à la peur d’échouer (Smith, 2019). C’est alors qu’elles ont décidé de proposer divers parcours d’accompagnement vers l’acquisition de compétences ; parcours analogiques au passage du permis de conduire (conduite accompagnée, supervisée ou libre). La liberté de choix laissée à l’apprenant dans son parcours d’évaluation repose sur sa perception de son autonomie.

État d’avancement du projet et résultats éventuels

A l’issue de l’enquête de décembre 2019, il ressort que 43 % des répondants ressentent des émotions négatives contre 73 % en 2018. Le taux d’échec ou de réussite apprécié via les notes ne démontrent rien de façon évidente entre les 2 années. (Moyenne de la promo 2018 : 10,32 ; Moyenne de la promo 2019 : 11,16). Il faut souligner que dans le cadre d’une approche par compétences, la note de façon intrinsèque n’indique pas grand-chose. À contrario, en examinant la validation de compétences, il est possible de constater une forte réduction de l’échec (Compétences non validées : 2018 : 64 / 138 (46,3 %) ; 2019 : 25/127 (19,6 %).

Les enquêtes menées en 2018 et 2019 ont été réalisées à l’issue d’une formation hybride. En 2020, les circonstances sanitaires ont conduit les auteures à transmettre leur contenu pédagogique uniquement en distanciel. Le numérique est alors la seule voie de transmission vers l’acquisition de compétences. Le choix de l’outil numérique s’est porté sur Zoom qui a permis d’avoir un contact visuel avec les apprenants et de partager des écrans pour visualiser les travaux des étudiants. Une certaine interaction en temps réel a ainsi été rendue possible. De plus, une relation individualisée a été maintenue voire renforcée. Le sentiment de réussite à l’issue de cette séquence distancielle a été ressenti par 82,7 % des répondants et un taux de satisfaction global de 74 % a été enregistré. Cependant, 49 % ont déclaré être anxieux pendant l’activité pédagogique alors même que 79,3 % déclarent avoir acquis des compétences et 75,9 % avoir eu le sentiment d’avoir fait des progrès.

Parmi les verbatim, il est toutefois possible de relever des éléments qui peuvent laisser supposer que le distanciel a généré de l’anxiété chez certains. Exemples : “Une méthode pratique avec les documents d’étapes validés pendant le zoom qui permet de s’assurer la moyenne, une meilleure cohérence des discours entre les professeurs par rapport au S1. Une bonne gestion du flux d’élèves par les enseignantes car ce n’est pas toujours évident à distance.” “C’était parfois compliqué d’être motivé pour faire le travail mais les profs ont su bien gérer”. Ce dernier témoignage montre que le distanciel peut renforcer chez certains les difficultés à gérer l’autonomie à distance.

Au final, il semble raisonnable de penser que dans l’approche pédagogique des auteures, l’utilisation exclusive du numérique n’a pas été un frein à l’acquisition des compétences pour le plus grand nombre. En effet, en comparant  la proportion d’étudiants qui n’ont pas validé les compétences à l’issue du semestre, il apparaît qu’en 2020 cela concerne  30,16 % (38/126) d’entre eux contre 37,23 % (51/137) en 2019 (mode hybride).


Conclusions et perspectives

Nos réflexions aborderont deux points de vue, d’une part celui de notre problématique initiale, d’autre part celui de l’usage du numérique.

En ce qui concerne le rôle des émotions positives sur la réduction de l’échec dans l’acquisition de compétences par l’apprenant, les résultats que nous avons présentés indiquent la pertinence de l’introduction des possibilités de choix de modalités d’évaluation adaptée à sa propre perception de l’autonomie.

Nous avons toutefois observé que pour certains, cette possibilité a généré de la frustration (« j’ai choisi les DE au départ mais au final j’ai dû remettre le livrable »). Faut-il pour autant encadrer leur choix de manière plus importante ? Nous souhaitons à ce niveau faire perdurer notre postulat de départ qui est de respecter le rythme des apprenants, et ce d’autant plus que nous avons constaté que parmi ceux qui initient tardivement le début de leur « conduite accompagnée », certains réussissent à tout valider. Alors que d’autres autoévaluent mal leurs compétences à suivre un rythme régulier d’apprentissage (22% d’après l’enquête au semestre 1). Peut-être faut-il à ce niveau renforcer la mise à disposition d’outils d’autoévaluation sur ce point.

Nous envisageons également la piste de la « gamification » en regroupant les documents d’étapes en différents niveaux successifs : en effet, pour parvenir au point d’arrivée final,  il faut passer par des étapes à l’instar de ce qui se passe dans les jeux video pour accéder au niveau supérieur. On peut supposer que le franchissement d’un niveau renforce la confiance en soi de l’apprenant.

En mars 2020, la mise en place du plan de continuité pédagogique nous a procuré l’occasion de convertir entièrement au numérique notre méthode pédagogique initialement hybride. Notre impression sur ce point met en valeur l’idée que rien n’a été modifié de manière fondamentale2Nous dissocions la question du contenu pédagogique des problématiques de logistique de connexion. Comme expliqué précédemment, grâce à l’animation de groupe classe avec l’outil Zoom, nous avons vécu de manière identique la possibilité d’accompagnement des étudiants vers l’acquisition de compétences.

Nous avons mobilisé la contribution de Jacquinot-Delaunay (2010) pour conceptualiser ce retour d’expérience. Elle explique tout d’abord que l’introduction de la suppression du présentiel déplace l’essentiel de l’acte éducatif, c’est-à-dire la relation vers l’effort individuel d’apprentissage. De ce point de vue, comme notre démarche pédagogique est par nature une pédagogie de type actif, le passage au numérique n’a donc pas créé de bouleversement. Nous rejoignons ici le constat à propos de l’adaptation à l’informatique qui n’est pas produite par l’environnement informatique mais par les humains (Amadieu et Tricot, 2014). 

Par ailleurs, reprenant le concept de distance au sens de Moore, elle rappelle que l’innovation se manifeste essentiellement quand cette distance est modifiée. Nous avons eu l’occasion d’expliquer pourquoi la méthode PFR se caractérise par une combinaison de méthodes pédagogiques qui réduit la distance transactionnelle (Chérel & Madrid, 2016). Là encore le passage au numérique n’a donc pas été source de modifications notables pour l’apprenant.

Enfin, elle signale que « la plus grande provocation de la dissociation dans l’espace du processus d’enseignement est la revalorisation de la relation entre les enseignants ». Ce constat permet d’expliquer pourquoi notre posture pédagogique initiale associée à l’accompagnement, plaçant l’étudiant au centre de la démarche, n’a pas été perturbée par le passage au numérique. Contrairement à ce qui aurait pu se produire dans le cadre d’une démarche d’enseignement purement transmissive, de type magistral où le charisme présentiel de l’enseignant assure la relation d’apprentissage et masque éventuellement l’absence de dialogue au sens de Moore. L’enseignant aura toujours une place centrale dans les apprentissages scolaires. (Amadieu et Tricot, 2014). 

Au final, Jacquinot Delaunay s’interroge sur la possibilité que les nouveaux modèles d’enseignements à distance puissent modifier nos « pratiques de formation tout court ». En ce qui nous concerne, l’expérience liée à la crise sanitaire a confirmé notre conviction de la nécessite d’être dans la proximité et l’individualisation et de s’éloigner définitivement de la posture de la seule transmission de connaissances. Qui plus est, notre expérience personnelle nous a permis de constater que notre volonté de prendre en compte les émotions dans l’apprentissage n’a pas été gommée par le numérique.

Bibliographie

Amadieu F. (2016), « Principes pédagogiques visant à améliorer la motivation et les stratégies d’apprentissage des étudiants »,  journée d’étude Motivation et engagement académique des étudiants, Université de Bordeaux, 15 juin.

Amadieu F., et Tricot A. (2014),  Apprendre avec le numérique : mythes et réalités – Ed. Retz, Paris, 107 p.

Bandura A. (2003) Auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle Paris : Éditions De Boeck Université.

Chérel L., Lapassouse Madrid C., 2016, «  Les motivations à apprendre des étudiants et l’enseignement du marketing : une analyse via la théorie de la distance transactionnelle en formation  »  Décisions Marketing, 83, oct-dec, 49-68

De Ketele J.M., (2016), « Motivation et engagement : que nous dit la recherche », journée d’étude Motivation et engagement académique des étudiants, Université de Bordeaux, 15 juin.

Jacquinot-Delaunay G. (2010), Entre présence et absence, la FAD comme principe de provocation, « Distances et savoirs » 2010/2 Vol. 8 |,pages 153 à 165 https://www.cairn.info/revue-distances-et-savoirs-2010-2-page-153.htm

Moore M.G., (2015). Transactional distance and e-learning”, Colloque International CIREL : « E-Formation des adultes et des jeunes adultes », 03-04-05 juin, Lille

Smith M. Las emociones de los estudiantes y su impacto en el aprendizaje, Ed. Narcea, Madrid, 205p


[1] Pfrproduitfilrouge.com
[2] Nous dissocions la question du contenu pédagogique des problématiques de logistique de connexion

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