Une application éducative numérique doit-elle être gamifiée ? Exemple d’ECRIMO, conçu pour s’entrainer à écrire dès la 1ère année d’apprentissage (CP)

Article de recherche

Do digital educational applications need to be gamified ? The example of ECRIMO, designed to practice spelling in 1st grade (CP in france)

BOGGIO Cynthia (CNRS, LPNC – Université de Grenoble Alpes / Éditions Hatier, Paris – Doctorante en psychologie)
BOSSE Marie-Line (CNRS, LPNC – Université de Grenoble Alpes – Professeure de psychologie)
PERTHUE Valérie (Éditions Hatier, Paris – Directrice éditoriale – département scolaire primaire des Editions Hatier)
BIANCO Maryse (LaRAC – Université de Grenoble Alpes – Professeure en sciences de l’éducation)


Résumé

Nous exposerons dans cet article, une étude du projet de recherche LILI-CP. Ce projet vise à élaborer de nouvelles propositions pour l’apprentissage de la lecture, à la fois les plus efficaces pour tous les élèves et faciles d’usage pour les enseignants de CP. Dans ce cadre, l’application ECRIMO a été développée pour favoriser une activité d’encodage (écriture de syllabes, de mots et de phrases) la plus efficiente possible. Pour atteindre cette efficacité, de multiples questions se posent. La recherche présentée ici porte sur les problématiques 1) de l’efficacité de l’application d’écriture par rapport à une pratique d’écriture sans application numérique et 2) de l’intérêt d’un habillage, plus ou moins gamifié, des exercices d’écriture sur tablette. La méthodologie d’une première étude pilote (en cours) et d’une étude expérimentale (à venir) sera présentée, après avoir détaillé l’application ECRIMO et ses modalités basique et gamifiée.

Mots clés : lecture et écriture, apprentissage, classe de CP, numérique à l’école, gamification 

Abstract

In this article, we will present a study of the LILI-CP’s research project. This project aims to develop new proposals for learning to read that are both the most effective for all first graders and easy to use for teachers. In this context, the application ECRIMO has been developed to promote the most effective spelling training as possible. In order to achieve this efficiency, many questions are asked. The research presented here focuses on the following issues: 1) the effectiveness of the spelling application in relation to a spelling practice without digital application, and 2) the interest of a gamified or basic presentation of spelling exercises on a tablet. The application ECRIMO and its basic and gamified modalities will be presented, followed by the methodology of a first pilot study (in progress) and an experimental study (to come).

Key words : reading and spelling, learning, first grade, digital in schools, gamification


Contexte et problématique

L’apprentissage de la lecture et de l’écriture est un enjeu majeur dès la première année d’école élémentaire. On sait que les débuts de cet apprentissage sont déterminants pour la suite de la scolarité et que les difficultés précoces d’apprentissage de la lecture prédisent fortement l’échec scolaire et l’illettrisme (e.g., en français :  Sprenger-Charolles et al., 2009). Il est donc fondamental de proposer dès le début de l’apprentissage un enseignement de la lecture qui soit le plus performant possible.

Encoder des mots écrits est une pratique reconnue comme efficace pour améliorer la lecture (e.g., Ehri, 1989; Henbest & Apel, 2017). Cette activité consiste à produire des suites de lettres, c’est-à-dire utiliser le code alphabétique, pour aboutir à des formes écrites correspondant aux unités orales que l’on souhaite, quel que soit le support choisi (écriture manuelle, clavier, lettres mobiles déplaçables, épellation, etc.). L’encodage est une activité qui doit donc être fondamentalement distinguée des activités d’entrainement à l’écriture manuelle, de copie ou de dictée à l’adulte. En effet, surtout au début de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, cette activité correspond essentiellement à l’action de segmenter le mot en unités sous-lexicales (phonèmes ou groupes de phonèmes) et de leur faire correspondre des lettres (graphèmes ou groupes de graphèmes), l’objectif étant que l’enfant mobilise ses connaissances des correspondances phono-graphémiques. Proposer de tels exercices d’encodage dès les débuts de l’apprentissage, simultanément aux exercices de lecture, est très profitable à l’acquisition du lire/écrire (Weiser & Mathes, 2011), notamment pour les jeunes lecteurs en difficulté (e.g., Ise & Schulte-Körne, 2010). Cependant, on sait que cette activité d’encodage (de mots dictés ou choisis par l’élève) n’est pas suffisamment pratiquée dans toutes les classes de CP. La recherche Lire-Ecrire (Goigoux, 2016) montre que cette activité est pratiquée en moyenne 54 minutes par semaine en CP. De plus, la variabilité est importante : 15% des classes ne consacrent que 34 minutes hebdomadaires à cette activité (moins de 8% du temps consacré au lire-écrire).  

Le but du projet général LILI-CP est de développer des outils pour les classes de CP, basés sur les connaissances scientifiques et qui aident les enseignants à améliorer l’efficacité de leur enseignement. Dans ce cadre, l’application ECRIMO a été développée pour favoriser une activité, régulière et la plus efficace possible, d’encodage qui conduit l’enfant à réfléchir au code phono-graphémique et à produire la forme écrite de la syllabe, du mot ou de la phrase entendus. Pour atteindre cette efficacité optimale, les questions posées sont multiples et portent autant sur la forme que doit avoir l’application que sur son usage par les enseignants. La recherche présentée ici porte sur les problématiques 1) de l’efficacité de l’application d’encodage par rapport à une pratique d’encodage sans application numérique et 2) de l’intérêt d’un habillage, gamifié ou basique, des exercices de l’application.

Enjeux de terrain

Il existe différentes façons de faire pratiquer l’encodage en classe. Les enseignants peuvent faire varier le type d’exercice en proposant des dictées ou de la dénomination écrite d’images, ainsi que le support en utilisant le papier-crayon, l’ardoise, les étiquettes ou encore les tablettes numériques. Le numérique, notamment les tablettes tactiles, investit progressivement la sphère éducative. Entre 2013 et 2015, le nombre de tablettes dans les établissements scolaires est passé de 15 000 à 130 000 (Eduscol, 2016). Pourtant, les enseignants comme les éditeurs et les chercheurs, se questionnent quant à leur efficacité, leur utilisabilité et leur acceptabilité (Amadieu et al., 2019; Ferrière et al., 2013). Pour les enseignants, utiliser le numérique peut procurer plusieurs bénéfices (comme améliorer leur gestion de l’hétérogénéité). Cependant, les plus-values du numérique peuvent s’avérer parfois discutables (Amadieu & Tricot, 2014). Mesurer l’efficacité, mais aussi l’ergonomie (utilisabilité et acceptabilité) des outils numériques à visée éducative semble primordial pour proposer aux enseignants des outils non seulement efficaces en théorie ou en condition de laboratoire, mais aussi facilement intégrables dans leurs pratiques. 

Cadre théorique et conceptuel

1) Intérêts d’une application tablette pour l’encodage

Plusieurs méta-analyses ont tenté de déterminer le potentiel éducatif des nouvelles technologies dans les classes (Blok et al., 2002; Chauhan, 2017; Cheung & Slavin, 2012; Lankshear & Knobel, 2003; Lieberman et al., 2009). Ces analyses suggèrent que les nouvelles technologies ont un effet positif sur les apprentissages, mais que cet effet est plutôt modéré. Cet effet s’observe dans différents domaines. En mathématiques, Brezovszky et al. (2019) ont observé des performances plus élevées en arithmétiques chez les élèves ayant joué avec le logiciel Number Navigation Game par rapport aux élèves n’y ayant pas joué. En LV2, Acquah et Katz (2020), au travers de 26 articles, ont démontré l’efficacité des jeux numériques pour l’apprentissage d’une seconde langue. En lecture, Ruiz et al. (2017) ont mis en lumière le potentiel éducatif de GraphoGame, un logiciel qui se joue sur tablette, en comparaison à un groupe sans tablette.

Cependant, l’impact de l’usage du numérique à l’école est sans doute modulé par de nombreux facteurs qu’il convient de préciser. À ce propos, la méta-analyse de McTigue et al. (2019), portant sur l’efficacité de l’application de lecture Graphogame développée dans de nombreux pays, suggère qu’une telle application n’est efficace, pour améliorer le niveau de lecture des enfants, que lorsqu’elle est associée à une interaction très forte de l’adulte. Ainsi, il ne suffit pas de distribuer aux enseignants une application éducative fondée sur les données de la science pour améliorer l’efficacité de leur enseignement, il est tout aussi fondamental de réfléchir, de penser et d’étudier également l’usage qu’ils en font vraiment. Cette constatation a motivé le développement de notre projet LILI-CP, qui vise à étudier non seulement l’efficacité mais aussi l’acceptabilité et l’utilisabilité des outils que nous développons pour les enseignants de CP.

Étonnamment, l’écriture n’est pas le domaine où le numérique est le plus utilisé à l’école. Selon l’enquête PROFETIC (MEN, 2015), environ 50% des enseignants du 1er degré disent utiliser le numérique pour l’étude de la langue et de la lecture, et 33% seulement l’utilisent pour l’écriture. Bien que les travaux de Longcamp et Velay montrent tout l’intérêt de l’activité d’écriture manuelle dans l’acquisition des lettres chez les très jeunes enfants (Longcamp et al., 2005), quelques rares études témoignent aussi du gain que peut apporter le numérique dans le domaine de l’écriture, au sens large. Une efficacité des interfaces numériques est retrouvée pour le traitement de texte (Little et al., 2018), pour l’apprentissage de l’orthographe (Elimelech & Aram, 2020) et pour l’apprentissage du geste graphique (Bonneton-Botté et al., 2020; Jolly & Gentaz, 2013). À notre connaissance, aucune étude ne s’est focalisée sur l’usage du numérique dans la pratique d’encodage en première année d’apprentissage.

L’application ECRIMO, conçue pour permettre aux enseignants de CP d’entrainer en complète autonomie leurs élèves en encodage, a été élaborée pour respecter les grands principes de l’apprentissage efficace, comme la présence de feedbacks immédiats à chaque production ou la progressivité des exercices. Cependant, il convient dans un premier temps de vérifier que l’usage de cette application présente un intérêt par rapport à une pratique d’encodage dans des conditions plus classiques de classe, sur papier ou ardoise effaçable. Pour répondre à cette question, nous comparerons plusieurs classes s’entrainant à écrire des mots sur tablette, à d’autres classes s’entrainant à écrire les mêmes mots, au même rythme, avec le support habituel papier-crayon. Enfin, des classes témoins (groupe “Business as usual”) pratiqueront leurs activités habituelles, afin de vérifier l’intérêt global des exercices proposés dans les autres groupes.

2) Intérêt de la gamification d’une application tablette pour l’encodage

Il existe plusieurs façons d’implémenter un entrainement éducatif dans une application pour tablette. L’une des questions qui se pose lors de l’implémentation est celle de l’habillage de l’exercice. Il existe malheureusement peu d’informations sur cette question dans la littérature. Les contenus et les interfaces utilisés sont rarement détaillés dans les recherches portant sur l’efficacité d’une application éducative, il est alors souvent impossible de déterminer les caractéristiques exactes qui sont associées à un effet positif (Beek et al., 2018). 

Souvent, les concepteurs semblent partir du principe qu’une application pour les jeunes enfants doit forcément être motivante et engageante, et pour cela, elle doit forcément être ludique. En effet, cela permettrait un engagement plus important des élèves dans la tâche (Couse & Chen, 2010; Educause, 2011; McPhee et al., 2013). A l’appui de ce principe, des données suggèrent que la motivation est liée à la gamification (e.g. Sailer et al., 2017). La gamification est le fait d’apporter du jeu dans des situations au départ non ludiques, en ajoutant certains éléments motivationnels (Deterding et al., 2011; Educause, 2011). Plus simplement, Werbach (2014) caractérise la gamification comme le processus qui rend l’activité plus proche du jeu. Sailer, Hense, Mayr, & Mandl (2017) ont tenté de déterminer quels étaient, dans la gamification, les éléments de jeu1Selon ces auteurs, éléments directement visibles par les utilisateurs, que l’on peut facilement activer ou désactiver dans une procédure expérimentale, et que l’on présume avoir un effet motivationnel. à l’origine d’une augmentation de la motivation. L’association de différents éléments (points, badges, tableau de bord, graphique de performance, histoires, avatars et coéquipier) toucherait différents aspects de la motivation. Ainsi, la gamification permettrait d’augmenter la motivation des apprenants pour réaliser une tâche. Bien qu’il ne soit pas évident que l’augmentation de la motivation engendre systématiquement une augmentation de la performance (Amadieu & Tricot, 2014), certaines études le suggèrent. Bai, Hew et Huang (2020) ont examiné l’effet de la gamification sur les apprentissages des élèves au travers d’une méta-analyse qui a porté sur 30 interventions auprès d’élèves allant de la maternelle aux études supérieures. Les auteurs concluent à un effet global significativement positif de la gamification sur les apprentissages. Cependant, une attention particulière doit être portée sur les éléments de jeu ajoutés à l’exercice, car il existe aussi un risque d’entraver les apprentissages (Falloon, 2013), notamment si trop d’éléments distractifs sont introduits. En effet, toute information non pertinente est une charge cognitive en plus (Mayer, 2005). Des écrans trop fournis en image, en son et en mouvement détournent l’attention de l’élève de sa tâche (Bus et al., 2015; Falloon, 2013; Van der Kooy Hofland et al., 2012). Parmi les éléments de jeu à notre disposition, un équilibre doit donc être trouvé pour que la gamification reste bénéfique pour les apprentissages. Cette question semble particulièrement importante pour les applications à destination des jeunes enfants. Pour déterminer si l’ajout d’éléments de jeu (gamification) à l’application ECRIMO constitue un gain pour les apprentissages, deux versions ont été développées, une première comportant quelques éléments de jeu (version basique) et une seconde en comportant davantage (version gamifiée).

L’étude en cours

Pour tester nos hypothèses, nous allons mener une étude expérimentale, précédée d’une étude pilote en classe de CP. L’étude pilote visera à tester l’utilisabilité et l’acceptabilité de la première version de l’application, ainsi que la différence de jugement des élèves entre les versions basique et gamifiée de l’application. L’étude expérimentale sera menée avec une version modifiée prenant en compte les observations menées dans l’étude pilote. Elle aura pour but (1) de déterminer si l’usage d’une application pour l’encodage au CP présente un intérêt par rapport à une pratique traditionnelle d’encodage sans tablettes et (2) d’établir si l’ajout d’éléments de jeu augmente ou pas l’efficacité de l’application.

Contenu de l’application ECRIMO

L’application ECRIMO a été développée par une équipe composée d’éditeurs, de chercheurs, d’un développeur et de designers, pour être utilisée en classe par des élèves de CP. Son but est d’entrainer les élèves à encoder à l’écrit des mots entendus, de manière répétée, pour améliorer leur connaissance du code alphabétique et ainsi soutenir la lecture, et pour commencer à mémoriser l’orthographe des mots et les particularités de la langue française écrite (fréquences graphotactiques).

ECRIMO est organisé en 24 paliers, successifs et progressifs, allant de la syllabe à la phrase en passant par le mot. Chaque palier est divisé en 4 exercices, eux-mêmes composés de 10 items ayant une particularité commune. L’application se joue sous forme d’une dictée et est conçue pour favoriser la réussite de l’élève. Ainsi une consigne est donnée au début de chaque exercice (par exemple: “Les mots que tu vas écrire se terminent tous par la lettre e.”). Ensuite, l’enfant entend le premier item à encoder et l’écrit en cliquant ou en déposant les étiquettes lettres appropriées, proposées en dessous de la cellule réponse. La cellule réponse donne une indication sur le nombre de lettres qui compose l’item. Une fois la dernière lettre sélectionnée, la réponse est automatiquement validée. Si le mot est bien écrit, l’enfant reçoit aussitôt un feedback positif. S’il comporte une erreur, l’élève est invité à réessayer (les lettres justes restent dans la cellule de réponse). S’il échoue encore au 2ème essai, le mot correctement écrit lui est immédiatement montré associé à sa forme orale, pour lui donner l’occasion de le voir bien orthographié.

Les items à écrire sont adaptés à la progression des apprentissages au CP et à la période de l’année où l’application sera utilisée, avec une difficulté croissante basée sur l’augmentation de la longueur de l’item, de la difficulté et de la variété des correspondances phonème-graphème à utiliser. Un score minimum doit être atteint pour passer au palier supérieur.

Implémentation d’ECRIMO dans les classes

ECRIMO a été pensé pour permettre la mise en place d’ateliers dans la classe, c’est-à-dire de faire travailler en complète autonomie un petit groupe d’élèves, après les explications nécessaires lors de la première prise en main. La durée de jeu est automatiquement limitée à 25 minutes maximum par élève, ce qui garantit un contrôle sur le temps de pratique quotidienne. L’enseignant peut, à tout moment, visualiser les progrès de chacun des élèves ayant joué sur la tablette : le travail effectué, l’avancée dans les exercices et le taux de réussite. L’activité de l’élève est sauvegardée dans la tablette afin que les chercheurs aient ensuite accès à ces informations qui seront traitées de façon anonymisée.

Gamification

L’application est disponible en version gamifiée et basique. Le contenu est exactement le même dans les deux versions, seuls des éléments de jeu ont été ajoutés à la version basique, pour en faire une version gamifiée. Pour décrire la gamification, nous utiliserons la classification des éléments de jeu proposée par Dicheva et al. (2015), qui nous semble être la plus adaptée à une application éducative comme ECRIMO. Cette classification se réfère à celles de Deterding et al. (2011) et de Zichermann & Cunningham (2011), reconnues dans le domaine de la gamification.

Les différences entre les deux versions portent principalement sur trois éléments : le tableau de bord, la variété des feedbacks et la présence d’un contexte (personnages et univers graphique).

Un tableau de bordest une représentation de la progression du joueur (généralement par rapport à ses réussites et par rapport aux autres joueurs; Sailer et al., 2017). Dans ECRIMO, le tableau de bord permet à l’élève de voir sa propre progression (pas de comparaison entre élèves). Dans la version basique du tableau de bord, la progression est visualisée dans une liste des 24 paliers, appelés « étapes ». Les paliers sont présentés les uns en dessous des autres, avec des couleurs verte ou jaune pour symboliser le palier de réussite de l’élève (voir Figure 1). Dans la version gamifiée, le tableau de bord est plus esthétique et contient plus d’éléments de jeu, avec la présence de badges, de personnages et de décors (Figure 2). La progression entre les paliers est illustrée par un chemin dans un environnement de fête foraine menant à un point d’arrivée représenté par des feux d’artifice et une montgolfière avec l’inscription « Bravo ! ».

Figure 1. Tableau de bord de la version basique d’ECRIMO.
Figure 2. Tableau de bord de la version gamifiée d’ECRIMO.

Les feedbacks entre les deux versions sont identiques en termes de quantité et de temporalité, utilisant toutes deux un système de points, élément basique d’une gamification (Zichermann & Cunningham, 2011). Cependant, la version gamifiée présente des feedbacks plus fournis et plus variés (présence de son, d’étoiles colorées et mobiles, et d’un personnage qui change d’expression faciale).

La troisième différence majeure est la présence d’un contexte (personnages et univers graphique) dans la version gamifiée, qui permet de donner du sens à l’exercice au-delà du but d’apprentissage (Sailer et al., 2017).  La version basique est la retranscription simple d’un exercice scolaire, papier-crayon, dans une tablette. Dans la version gamifiée, deux personnages, un petit garçon et une petite fille, accompagnent l’élève dans sa progression et dans ses exercices et se déplacent dans un environnement de fête foraine.

En résumé, la version gamifiée d’ECRIMO est composée de plus d’éléments de jeu que la version basique. On y retrouve la présence de personnages, de feedbacks variés et d’une visualisation de la progression plus esthétique. Ces éléments la rendent plus proche du jeu que de la classe, comparée à la version basique qui demeure plus semblable à un exercice donné en classe.

Expérimentations

La recherche ECRIMO devait s’effectuer entre mars et juin 2020. Suite à la situation de confinement, nous avons conçu une première étude exploratoire en condition écologique dans le but de tester sa prise en main et son utilisation en classe. Par la suite, il sera possible de proposer une version plus aboutie et plus adaptée aux usagers pour l’étude expérimentale. Cette dernière débutera en novembre avec une adaptation de la progression à cette période de l’année du CP. Les deux études s’effectueront dans les classes de CP de l’académie de Grenoble.

Les deux versions d’ECRIMO seront utilisées dans l’étude pilote et dans l’étude expérimentale sur les tablettes Galaxy Tab A 10.1″. Le logiciel Edutab sera utilisé pour synchroniser toutes les tablettes simultanément et pour obliger la tablette à n’afficher que l’application ECRIMO dès son ouverture. 

Étude pilote, juin 2020

Quatre classes de CP en REP+, provenant de deux écoles différentes (deux classes dans l’une et les deux autres classes dans l’autre), se sont portées volontaires pour participer à ce test. L’échantillon sera composé d’environ 40 élèves (échantillon encore incertain vu le contexte actuel de pandémie).

Afin de comparer l’utilisation des deux versions d’ECRIMO, dans chaque école une première classe testera la version basique quand la deuxième testera la version gamifiée (20 élèves dans chaque condition). Les élèves doivent jouer au minimum deux fois par semaine avec des séances de 20 minutes pour maximiser leur temps d’attention, à partir du 2 juin 2020 et jusqu’à la fin du mois. Cela équivaut à un minimum de 8 séances d’entrainement. La comparaison des deux versions d’ECRIMO portera sur:

  • le jugement des élèves sur leur version de l’application (questionnaire de Pila et al. 2019 et métriques de Read & MacFarlane,2006).
  • le temps de jeu des élèves et leur performance au cours du temps.
  • l’avis des enseignants (System Usability Scale, Brooke, 1996) qui permet d’avoir une idée sur la compatibilité de l’application avec le contexte de la classe et sur sa prise en main.

Après l’étude pilote, des modifications pourront être apportées à l’application ECRIMO dans le but de la rendre plus facilement utilisable pour les élèves comme pour les enseignants.

Étude expérimentale, octobre 2020 – janvier 2021

Le but de cette étude est de tester expérimentalement, avec un design prétest/entrainements/postest, l’efficacité de l’application ECRIMO par rapport à une pratique d’encodage sans application numérique et de mesurer s’il y a un intérêt à utiliser un habillage gamifié.

L’échantillon sera composé d’environ 350 élèves, de 20 classes de CP différentes, localisées dans l’académie de Grenoble, de REP+, REP et non REP. Parmi les classes de CP volontaires, 4 groupes de classes seront constitués par tirage au sort. Un groupe effectuera des exercices d’encodage sur tablette avec la version gamifiée d’ECRIMO, un autre effectuera les mêmes exercices sur tablette avec la version basique d’ECRIMO, un groupe effectuera les mêmes exercices sans tablette dans une version « papier-crayon », et un groupe effectuera son travail habituel sans consigne particulière (groupe témoin). Les 4 groupes seront évalués avant (prétest) et après (postest) la période d’entrainement de manière identique, afin de comparer leur progrès.

Les prétests seront effectués en octobre 2020. La phase d’entrainement sera effectuée en novembre et décembre et les postests en janvier 2021. Les classes des groupes avec entrainements, pratiqueront 2 fois par semaine pendant 20 minutes à chaque fois. Pour le groupe « papier-crayon », les séances se feront sur ardoise, collectivement. Pour les deux groupes « tablette », les élèves utiliseront les tablettes, en petit groupe autonome.

Les élèves seront évalués sur leur capacité à orthographier et à lire des syllabes et des mots, et interrogés sur leur motivation à lire et à écrire (Guay et al., 2005). Les résultats aux évaluations nationales de septembre et de janvier seront également utilisés. Si des différences significatives de progrès sont observées entre les groupes, il sera possible de déterminer quelle condition d’entrainement à l’encodage est la plus efficace (sans application, avec application basique ou gamifiée).

Conclusions et perspectives

Cette étude s’inscrit dans le projet de recherche LILI-CP qui vise à développer des outils, basés sur les connaissances scientifiques, pour les pratiques de classe en CP. Ce projet cherche à aider autant les élèves dans leur apprentissage que les professeurs des écoles dans leur enseignement. Tester l’efficacité, l’utilisabilité et l’acceptabilité de l’application ECRIMO permettra de déterminer la version la plus adaptée à une pratique en classe, destinée à être proposé aux enseignants de CP. De plus, en comparant deux habillages de l’application, cette étude contribue à alimenter les données scientifiques dans le domaine des nouvelles technologies pour l’éducation. Cependant, il nous sera délicat de déterminer avec précision quels sont les éléments de jeu qui permettent à une application d’être efficace ou non pour les apprentissages, puisque plusieurs éléments de jeu diffèrent entre les deux versions. Pour atteindre cet objectif, d’autres études seront nécessaires, dans un contexte moins écologique mais plus contrôlé, afin de ne faire varier qu’un élément à la fois. Malgré cette limite, cette étude reste novatrice dans ses objectifs qui allient l’étude de l’efficacité à l’étude ergonomique de l’outil d’entrainement proposé. Les résultats obtenus dans le domaine ergonomique permettront d’émettre des recommandations pour la conception d’autres applications éducatives.

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[1] Selon ces auteurs, éléments directement visibles par les utilisateurs, que l’on peut facilement activer ou désactiver dans une procédure expérimentale, et que l’on présume avoir un effet motivationnel.

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